(Par le Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay, Université de Bandundu)
Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay (Université de Bandundu)
*Comme annoncé dans ma chronique précédente, voici un nouvel aspect de la culture Bayansi. Je voudrais offrir une information objective sur ce peuple afin de corriger sa mauvaise image véhiculée au sein de la société kinoise par certains musiciens dont la source est l’ignorance. Après le système matrimonial Ké-twil, cette nouvelle sortie porte sur Nkier/Nkir/Nkirt des Bayansi et sur notre religion ancestrale traditionnelle.
Selon Pierre Swartenbroeckx appuyé par Guy De Plaen, le culte des Ancêtres, tel qu’il est pratiqué dans la tradition Bayansi, est une religion. Car, la pratique religieuse Bayansi, Nkir, englobe tous les domaines et toutes les époques de la vie. Son but est d’apporter des solutions aux multiples problèmes qui se posent au sein de la société (Swartenbroeckx, p. 196). C’est pour cette raison qu’elle est l’âme de ce peuple, sa raison d’être. C’est aussi pour ce même motif qu’il est impossible de la supprimer. Le faire, équivaudrait à tuer ce peuple. Il n’y a aucun peuple africain qui accepte cette mort programmée. Oscar Bimwenyi Kweshi affirmait d’ailleurs que c’est le constat que font de nombreux pasteurs. Leur œuvre évangélisatrice dressée contre la civilisation ancestrale semble vouée à l’échec tant les chrétiens qu’ils baptisent demeurent attachés à leurs croyances ancestrales. Déjà avant, les colons, les Administrateurs, les Missionnaires, les Commerçants et les Ethnologues avaient abouti à la même déception malgré tous leurs efforts pour imposer leur propre religion (Guy De Plaen, p. 203).
Ainsi donc, Nkier (Mankier au pluriel), aussi Nkir/Nkirt, investit tout le champ de la vie sociale Bayansi. Il le régule en apportant sa puissance, son pouvoir, qui vient de son savoir reconnu. Recourir à lui, c’est s’assurer d’un excellent bouclier existentiel, acquérir une vraie protection vitale. Voici une liste non exhaustive de différents Nkier : Kamon, Ké-saal, Kébo’Mpyèm, Kémbuum, Kenvang, Kepia, Lebwiy, Lépib, Mayay, Mbem, Mpey, Mpwo, Mumpie, Mungab, Ngul, Nkwey, Nsel, Nswo, Yam, etc. Parmi tous ces Mankir, Mpwo et Nswo sont très répandus, tout comme Mayay. Mpwo est le protecteur par excellence. Ancêtre du clan premier Bayansi, il est célébré suivant des rites appropriés. Son tabernacle, le lieu où il est gardé s’appelle « Mbôk » ou corbeille ; le prêtre qui le garde et le célèbre est Ngampwo. Nswo est également très important car il transmet la fécondité. Il est lié aux femmes dont les aînées sont ses prêtresses. Dans la tradition Bayansi, Nswo est très populaire et a un autel dans chaque maison. Il est l’autre identité Bayansi. Il y a d’ailleurs une tribu Bayansi qui a pris le nom Banswo ; un peuple voisin, issu des Bayansi et des Hungana porte aussi le même nom et est appelé parfois Basongo. Le peuple voisin Bambala les appelle des Bayansi (Swartenbroeckx, p. 200-201).
Au sein des autres Ma/Nkier, Lébwiy revêt d’une importance capitale. Il signifie littéralement le « devancier », le premier d’entre tous, l’aîné. On se réfère ainsi à lui pour construire un nouveau village et c’est de lui que dépend la bonne marche de celui-ci, qu’il s’agisse de la chasse, de la pêche ou de la récolte. Son apport est primordial. Aussi, explique Bernard Fansaka Biniama, le jour de la célébration du Lébwiy réunit tout le village.
Chacun vient avec son outil (machette, hache, fusil, filet, lance, etc.). Vêtu de rouge, le prêtre de Lébwiy, « Nga-Lébwiy », debout devant son autel, bénit les outils avec du kaolin (ofèl-mpyem) après avoir sacrifié un animal domestique (poule ou bouc) et répandu son sang sur les outils. Il adresse cette prière « Ne me trahis pas, Lébwiy. Ce n’est pas moi qui t’ai choisi, c’est le clan qui m’a demandé d’être ton gardien. Ne nous abandonne pas affamés, donne-nous à manger ; fais que la semence soit fructueuse et que ton peuple vive dans la joie de la récolte et de la chasse » (Bernard Fansaka, p. 43-44). Lébwiy est l’ancêtre des ancêtres, représenté par l’eau qui est le créateur lui-même. Car l’eau est l’origine des origines, l’élément constitutif de tous les êtres. L’être humain vient de l’eau et l’être humain est l’eau que les Dogon nomme « Nommo », le Dieu d’eau, l’humidité, l’essence de la lumière et de l’énergie, l’essence de la vie des humains (Marcel Griaule, p. 17-18). Lébwiy, c’est Dieu, l’Un, l’Incréé, Imn, αμόyν, Amon, Ebandeli, Ndele-Mukulu, Ndelelu, Lubalela (Mubabinge Bilolo, p. 52). Lébwiy a plusieurs figures dont l’Arc-en-Ciel ou la foudre, symboles de l’humidité (Cheik Anta Diop, p. 209).
Comme Lébwiy, Nkier’Yey est aussi important ; il est lié aux jumeaux et assure leur protection. Les jumeaux, signe de bénédiction par excellence, représentent l’Ancêtre même des Bayansi, appelé Yey ou le pays des origines nommé aussi Mpur/Mput (d’où Bampur ou Bamputu, une autre tribu Bayansi). Nkier Mayay est fait d’une corbeille des restes d’un aïeul Mbu et d’un autre Mpia, qui, au départ étaient deux tribus qui ont fusionné.
Ces restes, parfois remplacées par la terre du fond d’une rivière en souvenir de la rivière Yey du pays primitif, sont gardées dans la calebasse des jumeaux, qui contient des graines variées enduites dans une couche collante de kaolin rougeâtre (mpyem), et provenant des déjections de la civette qu’elle dépose au même endroit pendant une quinzaine de jours (Swartenbroeckx, Mbo et Mpia, p. 99).
Nkier vient du verbe kier/ukier qui signifie fabriquer avec les mains. Nkier c’est donc l’objet provenant des mains d’homme. Il est à noter que cette performance manuelle est intervenue après la libération des mains grâce à la position debout acquise par l’homme après un très long processus évolutif ayant abouti à la bipédie avec de transformations du pied, de la jambe, du bassin, la colonne vertébrale, le développement de la boîte crânienne, la réduction de la face, l’arrondissement de l’arc dentaire, la réduction de la canine, etc. (Yves Coppens, p. 435), et surtout le développement du cerveau ayant atteint ses proportions actuelles, 1400 grammes, soit 2,3% du poids corporel, accaparant près de 23% de besoins énergétiques quotidiens de l’organisme ( Stephen C. Cunnan, p. 659). En Kiyansi, on parle ainsi de « kier kiti – fabriquer une chaise », « kier mesa – fabriquer une table », « kier kob – fabriquer un verre ou une tasse », « kier sabar – fabriquer une chaussure », « kier lokoôk – fabriquer une nasse », « kier bota – fabriquer un fusil », « kier kèpel – fabriquer un miroir », etc. Ceci veut dire que tout ce qui est fabriqué par les mains est de l’ordre de Nkier, outil, objet, étant entendu que Nkier est ce qui est fabriqué par soi-même, par son propre travail, par ses mains d’homme à l’exemple de l’araignée. Tous ces objets, choisis par les Ancêtres et qui les représentent, peuvent être Nkier.
En effet, selon la tradition Bayansi, Nkier relève avant tout du travail des Anciens. Car ce sont eux qui, les premiers, ont travaillé avec leurs mains. Ma/Nkier, ce sont donc les Ancêtres. Les noms qu’ils portent sont des noms des Ancêtres. C’est vu sous cet angle que Nkier acquiert une fonction magique, religieuse, spirituelle, parce qu’il apporte des bénéfices sans que l’on doive soi-même refaire la même chose étant donné que les Anciens l’ont déjà réalisée. Les suivre, respecter leurs directives, connaître leurs procédés, acquérir leurs techniques, leur obéir, suffit amplement pour être en harmonie avec soi-même, pour vivre d’une façon sereine.
C’est le sens que revêt les relations étroites entre les vivants et les Ancêtres, les morts ; relations entièrement au bénéfice des vivants. Ainsi, Nkier est donc avant tout la figure des Anciens, des Ancêtres. Nkier, ce sont les Ancêtres parmi les vivants. A travers leurs œuvres transmises de génération en génération, ils réglementent la vie des vivants. Ils récompensent les bons, châtient les marginaux et les méchants à cause des choix qu’ils font de les suivre ou non, l’expérience prouvant la perte inexorable des récalcitrants. Nkier a diverses fonctions.
Figure et présence des Ancêtres, Nkier est aussi le support de la parole. C’est sur Nkier que la parole s’appuie pour transmettre la tradition, pour communiquer, pour permettre les échanges entre les personnes. De ce point de vue Nkier est le livre avant le livre, la photographie avant la photographie. Il est le support de la parole qui façonne la société.
Sans lui, la société s’écroule. C’est ce qui justifie son omniprésence au sein de la société Bayansi. Son apport est immense. Cette considération annule l’assertion selon laquelle notre culture ne serait qu’orale, sans autre support. Ceci est faux. Car la longévité millénaire de la parole africaine prouve à suffisance qu’elle a un support solide en plus du fait qu’il il y a de nombreuses écritures ancestrales africaines. L’importance de Nkier se révèle dans les médicaments, car il est aussi remède. Les différents prêtres Bayansi (Bangaa) sont avant tout des médecins ou des soignants, des savants.
Les noms Bayansi se réfèrent aux différents Ma/Nkier. Mungab, Ma-Ta/Yay, Ma-Ta/Nzey, Ma-Ta/Nsel, Ma-Ta/Mpwo, Ma-Ta/Wab, etc. se rapportent aux noms de Nkier, noms des Ancêtres primordiaux charriant de multiples forces millénaires.
C’est pour cela qu’il est urgent que nous puissions recouvrir ces noms ancestraux pour rétablir les liens entre la génération actuelle et leurs ancêtres. Les noms MERDI, PALMEDI, MIRADI, CHRIST-EN-VIE, etc., doivent être abandonnés. De même, je lance un appel vibrant aux influenceurs et autres leaders d’opinion kinois qui inspirent grandement notre gouvernement et notre jeunesse de délaisser des nominations fantaisistes du genre « warrios » ou « golois ». Elles sont fictives et ne charrient aucune énergie. Notre pays est une mosaïque de peuples valeureux et de cultures sublimes dont l’avènement se confond avec celle de l’humanité elle-même. De leur tissage intelligent (Ya-Nsi) résultera une nation puissante, forte. Je les invite à orienter notre jeunesse et notre gouvernement vers les valeurs Bakongo, Bakuba, Bayaka, Batshoko, Baluba, Balunda, Banande, Banfunuka, Batetela, Bayansi, etc., et non vers la pure fiction, gage de la médiocrité et de la désintégration assurées.