Depuis un certain temps, je sens une confusion étonnante entretenue sur les
réseaux sociaux par un bon nombre de politiciens, surtout ceux qui se réclament « opposants », et par certains lettrés au sujet de l’usage abusif qu’ils font du concept de dikastocratie, qu’ils opposent inconsciemment à celui de démocratie.
Interpellé par cette cacophonie spécieuse et insidieuse délibérément créée par
ceux-là qui veulent critiquer négativement le Pouvoir démocratique de Kinshasa, je me suis résolu de m’y interroger et d’y jeter le projecteur pour éclairer le Peuple, en général, et certains cadres, en particulier, sur leurs vrais sens, afin d’éviter que ceux-ci ne soient jetés dans l’obscurantisme nuisant ainsi aux intérêts à la République.
Pour ceux qui ne le savent pas, le concept de dikastocratie vient du grec dikastés
qui signifie les « juges », et kratein « gouverner ». Il s’agit d’un concept signifiant le « Gouvernement par des juges ». Un terme similaire est kritarchie ou kritocratie, qui signifiait le système de Gouvernement par les juges bibliques dans l’ancien Israël, instauré par Moïse selon le livre de l’exode, avant l’établissement d’une monarchie unie sous Saül. Le nom étant un composé des mots grecs krites, « juge», et a’rkho, « gouverner », son usage familier s’est étendu pour couvrir également le Gouvernement par les juges au sens moderne du terme.
Afin d’opposer un tel pouvoir des juges modernes à la forme actuelle de la
Constitution de 1996 de la République d’Afrique du Sud, le juge Albie Sachs a inventé le terme dikastocratie en rejetant le terme juristocratie qui est un mélange de latin et de grec.
C’est en cherchant à comprendre le concept de constitutionnalisme ou contrôle de
constitutionnalité que j’ai débouché sur le concept de dikastocratie ou dicastocratie. Réfléchissant calmement sur le concept constitutionnalisme, il m’est arrivé de comprendre qu’il confère au juge un rôle de « coauteur » de la loi bien qu’il n’est pas l’élu du Peuple. Voilà ce qui a pu amener certains critiques à parler d’un « Gouvernement des juges » qui s’oppose effectivement au Gouvernement issu du souverain primaire.
En effet, la dikastocratie est un terme issu de la philosophie politique, affirme D. Terré. Contrairement à la démocratie ou à la dictature, elle n’est pas une forme de Gouvernement, mais une Société dans laquelle le Pouvoir suprême appartient au Pouvoir judiciaire. Ce qui veut dire que le Gouvernement des juges est une critique d’une tendance qui consiste à laisser au Pouvoir judiciaire des décisions qui « devraient normalement relever du politique » (Jacques MEDECIN, 1996). Il peut s’entendre aussi au sens où les juges pourraient prendre des décisions politiques qui iraient à l’encontre des décisions politiques prises par des élus (contrôle de constitutionnalité).
Pour Dominique Terré, il y a « Gouvernement des juges » qu’au cas où le juge
dispose d’un pouvoir discrétionnaire : de trop de pouvoir au regard des exigences de la démocratie, c’est-à-dire que cet excès de pouvoir pouvant notamment résulter de l’octroi du droit d’auto-saisine ou du contrôle du pouvoir constituant, aussi quand le juge fait prévaloir ses propres valeurs par rapport à celles communément admises (D. TERRE, 2007).
Par opposition au concept de dikastocratie, il existe le concept de démocratie qui a, à son tour, une origine grecque demokratia qui signifie littéralement « le pouvoir du peuple ». Les citoyens-demos-détenaient le pouvoir politique-kratos-dans l’Etat’’ (J. OBER cité par R. Olivier R. et D. DUHAMEL, 1998).
Selon son évolution sémantique, le terme demokratia a été, pour la première fois, forgé en Athènes il y a près de 2500 ans, c’est-à-dire, en 510 et 507 avant Jésus Christ, respectivement par Clisthène dans le contexte de la lutte pour le Pouvoir, et c’est Solon qui a su introduire les concepts de paix et de consensus dans l’exercice du Pouvoir démocratique. Sa compréhension a ainsi largement évolué pour devenir le Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple
(A. LINCOLN, 1863). Cette conception de la démocratie, pour qu’elle soit suffisante, elle doit prendre en compte, dans sa pratique, de toutes les exigences de la démocratie, notamment la Liberté, la Justice et la Croissance. Cela, contrairement à la dikastocratie qui est le « Gouvernement par des juges ».
A examiner ce qui se passe politiquement dans mon pays, la RD Congo, est-il évident que l’exercice du Pouvoir judiciaire surplombe celui des Pouvoirs exécutif et législatif ? ont-ils raison de parler du Gouvernement des juges en R.D. Congo ? Nenni. Ce qui est vrai est que le contrôle de constitutionnalité, loin d’être l’ennemi de la démocratie en RD Congo et partout ailleurs, demeure une des conditions de son exercice.
Il est donc demandé à ceux qui estiment que le Gouvernement de la RD Congo est dikastocratique de se remettre en question et de se départir des explications qui circulent sur les Réseaux Sociaux. Le vrai sens du concept de dikastocratie est à votre portée.
Voilà ma mise au point.
Prof. Dr Bruno-J. TSHIBANGU Kabaji
Diplômé de CHESD
DGA et DG ai de l’ANAPI
Président Fédéral honoraire de l’UDPS/Tshisekedi