A l’origine, aux côtés d’autres personnalités, d’un appel à rejeter le projet de modification de la Constitution, l’opposant Delly Sesanga a été brièvement interpellé le 14 novembre. Libéré le jour même, il est revenu pour Jeune Afrique sur les enjeux de cette mobilisation.
Sortie très affaiblie des dernières élections, l’opposition congolaise trouvera-t-elle, dans le débat qui s’ouvre sur la réforme de la Constitution, le moyen de se rassembler ? Depuis que Félix Tshisekedi a officialisé, le 23 octobre, son intention de modifier la loi fondamentale, les principales figures de l’opposition ont toutes condamné un projet qui ne servirait, selon elles, qu’à permettre au président de briguer un nouveau mandat en 2028.
Si le pouvoir avance prudemment sur ce sujet, entretenant pour l’instant le flou sur les modalités d’un changement avant le lancement d’une commission chargée d’y réfléchir en 2025, les adversaires du président tentent déjà de s’organiser.
Le 9 novembre, l’ancien député Delly Sesanga a annoncé le lancement d’une plateforme « contre le changement de la Constitution et un troisième mandat du Président Félix Tshisekedi ». Lui-même porteur d’un projet de révision de la Constitution lors du premier mandat du chef de l’État, il a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Que vous a-t-on reproché lors de votre interpellation ?
Delly Sesanga : Nous devions lancer notre campagne de sensibilisation pour inviter la population à nous rejoindre dans ce combat contre le changement de la Constitution et le troisième mandat de Félix Tshisekedi. Nous avions informé l’hôtel de ville de Kinshasa, mais la police a voulu nous interrompre et disperser la foule avec des grenades assourdissantes avant d’arrêter plusieurs d’entre nous brutalement. Le président aime dire que l’opposition est faible. La réalité selon moi, c’est plutôt que le pouvoir a peur.
Pourquoi vous mobiliser maintenant alors que l’on ne connaît pas encore les contours du projet ?
Parce que nous nous sommes rendu compte que le pouvoir voulait aller vers un changement de Constitution. Nous n’acceptons pas que Félix Tshisekedi, qui n’a pas été élu en 2019 [la régularité de sa victoire avait été contestée, ndlr], puisse aujourd’hui changer la Constitution et s’autoriser un ou plusieurs nouveaux mandats dans les années à venir. En 2016, nous avons empêché Joseph Kabila de toucher à la Constitution. Il nous faut de nouveau nous mobiliser.
Vous parlez de changement de la Constitution, mais les soutiens du président parlent davantage d’une révision…
Je suis étonné que les gens se posent encore cette question alors que le président de la République y a répondu dans son discours de Kisangani. Il a dit qu’il souhaitait donner une nouvelle Constitution à ce pays et qu’il n’excluait pas l’idée que la question du mandat puisse être soumise à référendum. Qu’est-ce que vous voulez de plus ? On ne lui fait pas un procès d’intention : ses intentions sont très claires.
Vous aviez vous-même déposé un projet de révision de la Constitution au début de son premier mandat. Pourquoi ne pas engager un dialogue pour voir ce qui pourrait être amendé dans le texte ?
Nous laissons aux naïfs la liberté d’aller discuter avec le président Tshisekedi, qui ne respecte jamais sa parole. Nous avons parlé avec lui de la réforme électorale lors de son premier mandat. Il n’a rien respecté. Nous refusons de jouer à nouveau les faire-valoir avec un pouvoir qui entretient délibérément la confusion entre les notions de révision et de changement de la Constitution. Ils veulent nous faire entrer dans un débat dont ils connaissent déjà l’issue. Félix Tshisekedi doit finir son mandat et partir.
L’opposition est sortie affaiblie des élections de décembre 2023, qui ont été largement remportées par le pouvoir et ses alliés. Cela ne complique-t-il pas les chances d’une mobilisation similaire à celle de 2016 ?
Joseph Kabila avait peut-être un peu moins d’élus que Félix Tshisekedi lors de son second mandat, mais sa position était tout aussi dominante. Il contrôlait les institutions grâce à un système d’alliances, il dirigeait la totalité des provinces de ce pays et il avait la pleine maîtrise de l’armée. Cela n’a pas empêché le peuple de descendre massivement dans la rue pour le forcer à renoncer. Reste maintenant à régler des questions d’ordre pratique pour voir comment on peut agir de concert.
L’opposition a déjà tenté de s’unir lors de la dernière élection, elle n’a pas réussi. Pourquoi la situation serait-elle différente cette fois-ci ?
À l’époque, il fallait choisir des individus, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut que chacun de nous dépasse les clivages régionaux et politiques.
Quitte à manifester avec ceux que vous avez hier combattus pour les mêmes raisons ?
Si ceux qui, hier, ont tenté de changer la Constitution ont appris de leurs erreurs, ils peuvent nous rejoindre dans ce combat. Il y a même des gens de la majorité qui veulent aujourd’hui signer notre appel. Sur un tel sujet, tous les responsables politiques sont appelés à se prononcer, y compris ceux qui ont autrefois été dans l’opposition, comme Jean-Pierre Bemba ou Vital Kamerhe, qui préside désormais l’Assemblée nationale. Félix Tshisekedi a renié toutes ses convictions. Qu’en pensent les autres chefs de la majorité ?
(Avec Jeune Afrique)