(Par le Professeur Ordinaire Emérite Auguste MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO)
*Ce titre ne figure que ce que tout le monde a remarqué. A peine mon dernier ouvrage officiellement présenté, on a vu fuser des attaques malveillantes, non fondées sur l’ouvrage, que beaucoup de ceux qui prétendaient y répondre avec le but d’en détruire l’auteur n’avaient même pas lu, tandis que, je continue de l’affirmer, certains n’en comprennent même pas le contenu. Il est vrai que son seul titre « Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ’’jurisprudence’’ qui ne peut faire jurisprudence » avait de quoi susciter la curiosité et, au-delà de celle-ci, certains milieux judiciaires et politiques ont cru qu’ils ne pouvaient pas laisser passer cette occasion qui s’offrait de discréditer sinon de faire taire son auteur. Comme on dit « qui se sent morveux se mouche ».
Mais, avant de poursuivre, deux petites mais très importantes choses à préciser à propos de la science :
- D’abord, même pour le droit que nombre d’ignorants croient chose la plus facile alors même que beaucoup de leurs proches ou eux-mêmes y échouent, la science n’est pas une donnée démocratique, la science n’est pas démocratique, il n’est pas donné, comme naturellement, à tout le monde d’y accéder ;
- Retenir et citer par cœur des normes juridiques, des articles de lois ou même les codes entiers, ce n’est pas faire de la science juridique, le joli perroquet peut faire mieux. La science apparaît avec les questionnements comme pourquoi, comment, quoi, jusqu’où, quelle portée, quel fondement. Si quelqu’un vous lance une assertion juridique, surtout s’il se dit « professeur », mais sans vous expliquer son fondement juridique, il n’est pas scientifique, on lui a dit cela et il a retenu et à son tour il le répète à ses pauvres étudiants qui auront certainement le diplôme sans vraiment connaître le droit, leur présence demain dans les juridictions ne sera que catastrophe. C’est qu’il y a ainsi des gens qui peuvent arriver jusqu’au titre de « professeur », y accédant en quelque sorte par effraction, « professeur » du fait d’un arrêté ministériel. Ainsi, il y a professeurs et « professeurs ».
Je conseille aux lecteurs de garder présentes à l’esprit ces deux remarques tout au long de ce texte, ils en comprendront eux-mêmes au fur et à mesure l’utilité.
Une fulgurante offensive
Parlons d’abord de la forme de l’offensive, elle eut deux moments importants successifs. Dans un premier temps, à coup de billets verts, on a recruté et envoyé au front des soldats incompétents, inexpérimentés, qui n’avaient comme armements que l’amplification du bruit d’un tonneau vide par des réseaux sociaux, visiblement, tout le monde a remarqué que leurs propos n’ont été que des insanités et des insultes ; tout, sauf la science, ne mettant du reste à nu, en plus de leur ignorance, qu’un véritable manque d’éducation, d’ailleurs les téléspectateurs et auditeurs ne se sont pas trompés sur leur compte, ayant compris que certains, en mal de reconnaissance, croient se faire un nom en se collant à une célébrité, à un « grand » croyant ainsi en se frottant à des « grands » entrer eux aussi dans la cour des grands. En vain, ils n’ont réussi qu’à sombrer et à retomber définitivement dans leur anonymat. Dans un second temps, les milieux recruteurs ont entendu former des brigades de professionnels, sensés armés de l’artillerie lourde composée de missiles hyper soniques Kinjal, Sarmat ou Satan 2 et autres méchants démons. Au sein des brigades de cette deuxième phase de l’offensive, des généraux, professeurs que je connais et dont pour certains j’apprécie les qualités, compétences et expériences, aussi ne parlerai-je d’eux qu’avec respect, comme me l’imposent ma foi et mon éducation, regrettant juste qu’ils aient accepté d’être sollicités dans cette entreprise de sape.
Je fus mis en cause en me citant nominativement. Or, on n’a qu’à vérifier, dans tout ce que je dis ou écrit, notamment dans les analyses juridiques, dans ce climat congolais malsain où les 80% au moins des Congolais, y compris des « intellectuels », ne savent pas ce qu’est un débat « scientifique », débat d’idées sans animosité, sans arguments ad hominem, sans insultes et invectives, je ne cite jamais personne, en vue de le contredire, et je n’ai pas besoin de cela pour exposer et développer mes arguments et mon raisonnement, parce que je parle ou écris pour présenter ce que je pense et sais comme représentant, selon moi, l’état du droit sur telle ou telle question. Si dans un entretien, un journaliste me pose une question en rapport avec l’opinion exprimée par un autre, surtout si c’est un professeur, pour opposer nos deux opinions, je le corrige tout de suite et ne réponds pas à sa question sous cette forme-là. Raison pour laquelle j’écris toujours à la première personne du singulier, « je », sans me cacher derrière l’anonyme « on » ou le « nous » dit on ne sait pourquoi « de majesté », cela signifiant que j’assume mes idées parce que je les justifie et les motive de la manière, pour moi, la plus complète possible au vu de l’état du droit tel que je le connais et l’assimile. Ma conviction est qu’on n’a même pas besoin, pour argumenter, de se référer à l’opinion ou à l’argument de quelqu’un d’autre pour trouver de l’inspiration ; les observateurs avisés se seront rendu compte qu’il est apparu une sorte de science par génération spontanée, des gens sortant de nulle part, qu’on n’avait jamais entendus dans le domaine et dont la science n’a pris naissance que parce que Mampuya a parlé ou écrit et a fait naître chez eux un pressant et soudain instinct de faire leur « sortie », une fibre scientifique spontanée qui les démange, mais ils ne débitaient qu’insanités et bêtises.
J’ai été désigné par des allusions suffisamment indicatives, comme par exemple, oubliant les décideurs institutionnels et le constituant, parler avec dénigrement de « ceux qui ont fait le chiffon de constitution » parfois en visant les « intellectuels qui ont… ». Cette malveillance ne m’a pas touché outre mesure, je revendique un rôle dans le processus d’élaboration de la constitution, avec des propositions novatrices qui ont fait évoluer positivement nos conceptions constitutionnelles, mais je précise en même temps que, à cause des options finalement retenues par les politiciens, j’ai fait une campagne tapageuse contre le projet de constitution soumis au référendum, militant pour le « non » dans des articles de presse qui ont été remarqués (« Un avant-projet à rejeter : Trois raisons de voter « non » (Le Potentiel du 27 avril 2005), « Projet de constitution, copie à refaire » (Le Potentiel, numéros des 30 et 31 mai, 1er et 4 juin 2005), « Le projet de constitution n’est pas encore prêt pour être soumis au référendum » (le Phare du 31 mai 2005), etc.
Mes réticences portaient, entre autres,
- sur justement le statut pénal exceptionnel des autorités notamment celui du président de la République, d’autant plus qu’il a été étendu au Premier ministre, ainsi que le statut pénal des ministres, me prononçant en le motivant politiquement et juridiquement, contre le système du privilège de juridiction, juridictions spéciales et procédures spéciales concernant la mise en accusation et le régime juridique du procès, devant des juridictions suprêmes comme un privilège mais sans possibilité de voie de recours, violant ainsi le principe des droits humains de la « double juridiction » qui fait partie des droits de la défense ;
- sur le statut de la responsabilité politique du président de la République, avec des trop nombreux et trop importants pouvoirs mais voulu inviolable et irresponsable, je le pense et le dis encore aujourd’hui, quand les opportunistes affichent la volonté d’encore renforcer les pouvoirs présidentiels, sans doute estimant insuffisants les pouvoirs actuels.
Je ne suis pas certain que tout le monde en soit capable.
Par ailleurs, quand, au cours de ces « débats », pour présenter un avis différent du mien, on commence le raisonnement par « les constitutionnalistes ont erronément abordé cette question, … », en adoptant un point de vue du droit constitutionnel, ce que j’ai abondamment fait, il n’est pas difficile de comprendre qu’il s’agissait de moi. C’est que, vu le contexte de ces « débats », j’étais le seul qui était présenté comme « constitutionnaliste », certains journalistes parlant même de « professeur de droit constitutionnel » et j’ai eu souvent l’occasion de rectifier ; mais que le lecteur sache que certains m’ont contesté le titre de constitutionnaliste, se présentant eux-mêmes comme les plus grands constitutionnalistes du monde, mais dont personne n’a connu aucune contribution significative au droit constitutionnel à part des élucubrations politiciennes et des invectives. Il y eut, même, dans cette offensive, un qui s’est présenté dans la presse comme « professeur de droit constitutionnel », se croyant malin de claironner « Mampuya est internationaliste, il n’est pas professeur de droit constitutionnel ». Ce célèbre professeur de droit constitutionnel est tellement célèbre qu’il a supplié le journaliste de ne pas révéler son nom, un célèbre prof de droit constitutionnel anonyme, dont on a grand mal à discerner l’opinion scientifique. Mais, ferme et croyant dans la parole de la Sainte Bible « on reconnaît l’arbre par ses fruits », je n’ai jamais cherché à me battre pour des titres, mes étudiants français, eux, savent que je leur ai enseigné le droit constitutionnel, y compris le leur, d’abord comme successivement assistant et chargé d’enseignement et, ensuite, comme professeur, d’abord invité avant d’être nommé professeur des universités par décret présidentiel.
Seulement, voici que les cibles visées n’étaient que des leurres ; je veux dire que beaucoup de contre arguments ont visé des arguments qui ne se trouvent pas dans mon ouvrage, qui ne sont pas mes arguments, au point où, en les entendant, je me demandais s’il s’agissait de mon ouvrage.
Critique malveillante : Déformation délibérée de l’objet de l’ouvrage
Tous ceux qui ont lu cet ouvrage y ont vu, outre des développements en deux chapitres sur des questions générales concernant l’administration de la justice et les conditions d’exercice du pouvoir judiciaire, différentes affaires et décisions de justice rendues dans ces affaires. Cette analyse a concerné un florilège de décisions, pas toutes, concernant du reste plusieurs différentes affaires, et qui, selon moi, violaient outrancièrement, la Constitution et les lois et qui, à cause de cela, ne devraient pas « faire jurisprudence », pour ne pas dévoyer définitivement le système judiciaire et le droit congolais.
Certes, parmi les « dérives » épinglées dans ce chapitre III, il eut été difficile sinon surprenant, ceux des sollicités qui sont enseignants le savent bien, que ne fût pas évoquée la manière dont la justice suprême avait traité une affaire encore actuelle défrayant la chronique et faisant couler beaucoup d’encre et de salive, comme celle mettant en cause l’ancien Premier ministre Matata.
De là, il faut sans doute une très forte dose de mauvaise foi pour ne voir dans un ouvrage de 170 pages, ce qu’ont fait, de bonne ou de mauvaise foi, tous les intervenants, que la dizaine de pages dans lesquelles est traitée cette affaire où sont intervenues pas moins de 5 décisions de deux juridictions suprêmes, la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle. Preuve incontestable qu’ils étaient tous en service commandé pour une cause politicienne, d’ailleurs le seul acharnement qu’ils y mettaient les trahissait. Il est tout de même désolant que des juristes, académiciens par surcroît, ne prêtent aucune attention aux grandes problématiques juridiques de l’indépendance de notre magistrature, qui de l’avis de tous pose problème, et des conditions d’exercice de la fonction de dire le droit par une haute juridiction qui systématiquement nie la place de la constitution et de la loi et ne se fiant qu’à ses propres convictions extra-juridiques, pour se limiter à une seule affaire, politisée à souhait ou, à tout le moins, ayant un poids politique évident.
A désespérer de voir reculer ad vitam aeternam la moindre possibilité d’un véritable Etat de droit, non marqué d’une suspecte sélectivité.
Venons-en aux débats de fond
Clin d’œil et confiance dans un public non encore corrompu par le mauvais droit
Comme je l’ai dit, et parce que j’y crois, par respect, je ne me mettrai pas à répondre du tic au tac aux opinions particulières des professeurs, quoi que, pour la raison qu’ils sont seuls à connaître, ils se soient tous limités à l’affaire Matata. Mais, m’adressant à la catégorie du public qui est encore vierge, ou pas encore totalement infectée par le mauvais droit, je veux parler des étudiants et des jeunes chercheurs que j’ai vus à la tâche, eux aussi préoccupés par des assertions, a-juridiques ou contra legem qu’ils ont été surpris de découvrir et qui les ont choqués et fait douter, j’indiquerai ici la proposition fondamentale qui a fait la trame de ma critique générale de la jurisprudence de notre Cour constitutionnelle ; cela pour qu’ils ne se laissent pas totalement happer par le faux droit et tiennent bon, peut-être que le salut de notre droit et de notre système judiciaire passera par eux, il s’agit du rôle de la jurisprudence. Pour le reste, je fais la promesse d’organiser la publication progressive des « pages choisies » de l’ouvrage ; ainsi, à la différence de ceux qui ont jugé sans avoir lu l’ouvrage, donc suspects de malveillance ou de mauvaise foi, eux soient les témoins purs non suspects qui se rendront compte eux-mêmes de la réalité, de façon à identifier une pensée scientifique ou une prétention déformatrice et hérétique du droit.
Mais avant cette publication je prendrai le soin de montrer comment, pour me contrer, on m’a attribué des opinions qui ne sont les miennes, des affirmations que je n’ai faites nulle part dans l’ouvrage. Preuve que, dans le but de nuire, à moins que ce ne soit parce qu’on n’a pas compris ce qu’on prétend avoir lu, on n’hésite pas à dire des contre-vérités. Enfin, parce que c’est elle qui intéresse mes contradicteurs, je n’esquiverai pas l’objet de leur mission, l’affaire Matata, dans cette revue de ces missiles ayant raté leur cible par erreur de visée.
La querelle autour de la jurisprudence
Ce qu’est la jurisprudence et pourquoi elle n’est pas source du droit
Arguments de logique et de cohérence systémiques
A cette fin, on peut retenir, de toutes les définitions qui en sont données, que la jurisprudence est l’ensemble des décisions de justice rendues par les Cours et les Tribunaux pour la solution d’une situation ou question juridique donnée ; l’ensemble des solutions apportées par les juridictions dans l’application du droit ; la position qui se dégage sur un point de droit donné des décisions rendues par une juridiction, donnant naissance à un ensemble de décisions concordantes ; l’ensemble des décisions rendues par les juridictions chargées de trancher les litiges ou conflits qui leur sont soumis. Mais, on ne peut pas passer sous silence la condition d’apparition et de validité de toute jurisprudence, c’est que les juridictions fondent leurs décisions sur la règle de droit dans toutes ses exigences de forme ou procédure et de fond, en appliquant la règle juridique pertinente ; c’est en cela que l’on affirme que la mission des juridictions est de « dire le droit », traduisant le principe que j’ai cité plus haut selon lequel dans l’exercice de leur fonction, les juges « ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi » (article 150 alinéa 2 de la constitution).
En ne retenant que la classification simple et admise des systèmes juridiques en celui de common law (dit anglo-saxon) et celui de civil law, du droit civil de la famille romano-germanique, le terme, le même orthographiquement dans les deux, n’y a pas la même signification, voire pas le même sens : pour la common law, « jurisprudence » vise la théorie générale ou la science du droit, avec une idée de prudence, de sagesse dans les décisions de justice, qui était le sens ancien de ce concept même dans les pays du système romano-germanique ou du civil law. Dans la common law, système anglo-saxon, ce qui est désigné comme « jurisprudence » dans le système romano-germanique se traduit par case law. Dans ce système, en effet, la jurisprudence est faite de l’ensemble des précédents judiciaires, cette notion de stare decisis inconnue non seulement des systèmes de civil law mais aussi, dans une certaine mesure, du droit international.
Il est effectivement difficile d’établir une règle de précédents lorsqu’à la décision judiciaire est attachée une autorité relative, c’est-à-dire, si une décision définitive a un caractère obligatoire et exécutoire, une telle autorité lui est reconnue uniquement relativement « au cas qui a été décidé » et, aux parties concernées. Dans ce sens, par rapport à ce principe de l’autorité relative de la chose jugée, de la res judicata, qui est celui de la RDC, la jurisprudence dans le sens de la common law, donc la case law, le droit des précédents obligeant le juge à se conformer aux décisions judiciaires « précédentes », ne peut logiquement exister, aucune juridiction n’étant liée, comme par une « loi », par la jurisprudence d’une autre, voire pas par la sienne propre, même en cas d’une jurisprudence faite de décisions concordantes. Donc, en principe, une décision judiciaire ne constitue solution juridique que pour le cas d’espèce, et n’est pas une solution générale pour des cas similaires à venir.
La jurisprudence n’est pas une source de droit, elle ne peut pas, à l’égal de la loi et du règlement, de sa propre volonté, créer des normes. Le rôle du juge est d’appliquer les normes à des litiges, à des cas particuliers précis, de « dire le droit » en tranchant ces litiges et en fixant la situation juridique de chaque partie, le rôle du juge n’est donc pas de créer pour l’avenir des normes générales et impersonnelles. C’est la raison pour laquelle ceux qui osent dire que la jurisprudence est source de droit sont toujours, par précaution, obligés d’ajouter et de reconnaître qu’on parle de source « indirecte », « officieuse ». D’autant plus que les « juristes » savent également que, justement, dans notre système romano-germanique, aussi bien en Belgique, en RDC qu’en France, il est interdit au juge de rendre des « arrêts de règlement », un principe d’ordre public.
Argument de texte
Enfin, achevant de battre en brèche l’opinion reconnaissant à la jurisprudence la qualité de « source de droit », l’article 153 alinéa 4 de notre constitution énumère les sources du droit que doivent appliquer nos cours et tribunaux invités à trancher des litiges ou à régler des situations. Il arrête, à cet effet, que « Les cours et tribunaux, civils et militaires, APPLIQUENT les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’odre public ou aux bonnes mœurs. ». D’une part, la constitution indique le droit applicable dans leur mission de « dire le droit », le seul que les cours et tribunaux ont l’obligation d’appliquer ; d’autre part, la Constitution ne cite pas comme « droit applicable » c’est-à-dire droit à appliquer, la « jurisprudence », encore moins l’intime conviction lorsqu’elle n’est pas tirée de l’adhésion au droit pertinent.
Nature de la querelle
Les lecteurs avisés ont découvert que l’une des « divergences » soulignée par mes contradicteurs porte sur le rôle de la jurisprudence, alors que je DEMONTRE, comme ci-dessus, que la jurisprudence ne peut être une source du droit, qu’elle ne crée pas le droit, eux AFFIRMENT gratuitement qu’elle est source du droit. Un véritable abîme entre une rigoureuse DEMONSTRATION et une vile AFFIRMATION. Aucun de tous ceux qui se sont aventurés dans cette contestation n’a su, n’a pu, démontrer que la jurisprudence soit une source de droit, qu’elle crée le droit. Il y en a un qui, dans un ton chargé d’ironie et de déconsidération mal placées et avec une suffisance prétentieuse sans fondement, a dit « Le professeur Mampuya se trompe, le droit n’est pas fait seulement de la loi mais il y a aussi la jurisprudence qui, au même titre que la doctrine, constitue une source du droit », incapable de penser au sens précis et général que prend le vocable « loi » dans l’expression « le juge n’est soumis qu’à l’autorité de la loi, comprenant traités internationaux, constitution, lois, règlements et tous autres actes juridiques ayant autorité juridique obligatoire qui s’impose au juge, il a été encore plus incapable de démontrer son assertion, démontrer en quoi et sur quelle base juridique la jurisprudence est selon lui source du droit. Il aggrave son cas en ajoutant une nouvelle affirmation gratuite, disant que la doctrine est une source du droit. Pour être bref, que les jeunes sachent que la doctrine, même celle du plus grand scientifique, du plus « grand » professeur, y compris celle que je développe moi-même, pas plus que la jurisprudence, ne crée pas le droit. Quoi donc, ce que prétend dire tout premier petit professeur venu serait source de droit ? Mais enfin, quelle ridicule prétention ? Les « penseurs » et les juges ne sont pas « législateurs », quand ils font bien leur travail, leur doctrine et jurisprudence sont des « moyens auxiliaires de détermination des règles de droit », elles servent d’éclairage, de jalons pour, par leurs interprétations et explications ainsi que, pour les juges, l’application du droit à des cas particuliers, elles aident à toujours préciser ou déterminer le contenu, le sens et la portée d’une règle donnée, qu’ils ne créent pas mais expliquent ou explicitent, et parfois à « certifier » l’existence d’une norme juridique lorsqu’elle est incertaine, etc.
Ces affirmations gratuites illustrent bien les remarques que j’ai faites ci-haut, d’affirmations gratuites qu’on transmet de promotion en promotion ; à cet égard, les jeunes qui m’ont parlé ont en effet reconnu que leurs professeurs le leur disent toujours mais ne pensent jamais à le démontrer, sans doute parce qu’eux-mêmes l’ont appris de la même manière de leurs propres enseignants.
Pour autant, le rôle du juge n’est pas passif, il est dynamique, actif
Certes, pour l’application du droit au cas d’espèce, le juge n’a pas qu’un rôle passif, il est amené, parfois il y est obligé en cas d’obscurité, à interpréter les règles générales afin de pouvoir les appliquer aux spécificités de l’affaire en cause. De fait, par cette fonction d’application et d’interprétation des règles juridiques par le juge, ce dernier n’applique pas mécaniquement les règles, auxquelles souvent il fait subir plusieurs opérations, la première et la plus fréquente est celle d’interprétation consistant à, si de besoin, expliquer et clarifier le contenu, le sens et la portée de la norme appliquée.
De plus, lorsque le juge se trouve face à une lacune, une absence de norme pertinente applicable au cas, découvrant que la « loi » n’a pas réglé la situation examinée, que la loi est muette là-dessus, sous peine de déni de justice, il est obligé de se prononcer, au besoin en comblant ladite lacune non par une invention de son cru mais par une justification juridique acceptable du genre « règle coutumière » ou « principes généraux de droit », qui sont des sources du droit applicable par le juge, ou grâce à une règle ou technique d’interprétation avérée et habituellement pratiquée, quitte à ce que telle solution devienne une véritable incitation du législateur à combler cette lacune par l’adoption d’une loi réglant explicitement la matière concernée, cette fonction d’incitation par la suppléance du juge éviterait ainsi qu’une solution « jurisprudentielle » en quelque sorte de l’invention du juge, ne perdure et finisse par s’imposer par nécessité comme une « loi » de fait. C’est ce à quoi sont incités les juges par l’ordonnance législative du 14 mai 1886, toujours partie intégrante de notre droit judiciaire, qui indique où trouver les règles applicables en cas de « lacune » de la loi.
Enfin, pour appliquer adéquatement telle règle à une situation donnée alors que les conditions ou la société elle-même ont évolué et changé entre l’adoption de la loi et la survenance du litige à régler, il se peut que le juge doive l’adapter aux nouvelles conditions ou à cette évolution.
Donc, même limité à ces fonctions d’application et d’interprétation, le juge est véritablement « le technicien de l’application du droit », un vrai professionnel expert de la fonction juridictionnelle ; en précisant le contenu, le sens et la portée des règles, le juge joue un rôle actif, dynamique, qui accompagne l’évolution du droit. Sa mission de dire le droit amène le juge à appliquer la norme en l’interprétant si nécessaire, en l’adaptant au cas particulier dont il est saisi. Ce faisant, il anime la vie de la norme, l’enrichit certainement, lui donne parfois consistance, en précise le contenu et les contours, faisant ainsi œuvre de véritable « jurisprudence » dans le sens originel de juris prudencia vu ci-haut. En droit international, on dit que la jurisprudence contribue au développement progressif du droit, on le dirait de même pour le juge interne. A ce titre, en plus du règlement des litiges soumis au juge, la jurisprudence joue le même rôle que la doctrine, chacune dans leur domaine spécifique, le rôle de « moyen auxiliaire de détermination des normes de droit ».
En tout état de cause, quel que soit le degré de « créativité » que l’on reconnaisse à la jurisprudence, il est abusif d’imposer des jurisprudences contra legem, déconnectées de l’obligation de « dire le droit » en respectant les normes régissant cette fonction, « jurisprudences » contraires aux normes constitutionnelles et législatives explicites, régissant de façon claire et incontestable telle ou telle matière, jurisprudences uniquement fondées sur les sentiments du juge, sur la fameuse « intime conviction », laquelle, on le sait, ne porte que sur la réalité à vérifier des faits et non sur un entendement privé du droit et de ce qui est « droit ».
Une « jurisprudence » contra legem, ou « le droit c’est moi »
Comme on l’a dit à plusieurs reprises, la jurisprudence s’apprécie, pour sa validation, à l’aune du droit, dans la mesure où elle est produite de l’activité de « dire le droit », de trancher les litiges en appliquant le droit, sur la base du droit. A combien plus forte raison devrait-on exiger le respect du droit fait de la constitution, des lois et d’autres textes applicables dans le litige par le juge, lorsqu’il s’agit d’une juridiction supérieure, s’attribuant ou se voyant attribuer le pouvoir d’imposer sa « jurisprudence » à l’ensemble de l’ordre juridictionnel, alors que si cette « jurisprudence » est issue de violations du droit, elle est susceptible d’imposer, de manière absolue et peut-être ad vitam aeternam, des solutions juridiques erronées qui vont remplacer le droit posé par le constituant et le législateur.
Cette pratique établit une jurisprudence contra legem dénaturant totalement, pour des raisons injustifiées, le système de droit tout entier. Serait-on encore face à des décisions devant ou pouvant « faire jurisprudence » ? Une « jurisprudence » ne peut pas être fondée sur l’affirmation que « le droit c’est moi », avatar de l’historique « l’Etat c’est moi ». Si S.M. Louis XIV, roi absolu de droit divin, pouvait se dire ou se sentir, par la volonté de Dieu, au-dessus de la loi, il n’y a pas de juge de droit divin qui soit au-dessus de la loi ; le juge, serviteur de la loi, n’est pas au-dessus de la loi, ainsi avons-nous vu que son « indépendance » même, qui lui est reconnue à condition qu’il ne se soumette qu’à l’autorité de la loi, ne saurait le placer au-dessus de cette dernière.
C’est dans ce sens qu’est particulièrement remarquée une « jurisprudence » contra legem, contraire à la « loi », développée par les juridictions supérieures du système juridique et judiciaire congolais, particulièrement la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et, dans une moindre mesure, le Conseil d’Etat et, à leur suite, certaines Cours d’appel. Dans la suite, j’illustrerai cette dérive par les tendances observées dans certaines décisions prises par la Cour constitutionnelle.
Il y a lieu de faire constater que, dans bien des cas, la Cour a « boosté » cette tendance dévastatrice du droit en faisant appel à une théorie, celle du « pouvoir régulateur » ou de la « fonction régulatrice de la vie politique et du fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions ». Une théorie inexistante dans notre droit mais, en plus, pernicieuse parce que chaque fois que la Cour a recouru à « son pouvoir régulateur », cela a systématiquement servi à couvrir une violation, qu’elle assumait, de la constitution.
Prochainement : Des opinions qui me sont attribuées sans être les miennes