Au terme de deux jours de conclave dans la capitale kényane, l’ancien président congolais, récemment condamné à mort, a été porté à la tête d’une nouvelle plateforme politique. Mais cette stratégie a-t-elle des chances de réussir au sein d’une opposition divisée et face à un pouvoir hostile à tout dialogue avec lui ?
En plus de deux semaines, Joseph Kabila est passé du statut de condamné à mort en RDC à celui de chef de file d’une nouvelle plateforme d’opposition. Pour sa première apparition publique depuis le verdict rendu le 30 septembre par la justice militaire de son pays, l’ancien chef de l’État avait convoqué un conclave de deux jours à Nairobi.
Plusieurs personnalités de l’opposition – dont beaucoup vivent en exil – ainsi que des membres de la société civile congolaise avaient été conviés. En plus des habituels caciques de sa famille politique, l’ancien président avait fait venir celui qui fut son Premier ministre, Matata Ponyo Mapon. Ce dernier n’était plus réapparu en public depuis sa condamnation pour détournement de fonds en mai dernier. D’autres opposants congolais, comme Franck Diongo, Seth Kikuni ou encore Jean-Claude Vuemba, ont également pris part à la rencontre, tout comme le militant de la Lucha Bienvenue Matumo.
Destinée à « évaluer la situation politique du pays » et à « explorer des pistes de solutions », comme résumé pudiquement par l’entourage de l’ancien président, cette réunion a finalement abouti, le 15 octobre, au lancement d’une nouvelle plateforme, dont Joseph Kabila a été désigné président. Baptisée « Sauvons la RDC », elle ne dispose pour l’instant d’aucun organigramme défini et ses contours demeurent flous.
Dans sa déclaration finale, le mouvement affirme s’être donné pour mission de “mener des actions en vue de mettre fin à la tyrannie, [de] restaurer l’autorité de l’État et [de] favoriser la réconciliation nationale”. Les participants y dénoncent notamment la crise politique et la dégradation de la situation sécuritaire en RDC, dont ils tiennent Félix Tshisekedi pour responsable, et plaident pour un dialogue national et inclusif.
Ces revendications n’ont en soi rien de nouveau. Elles sont martelées depuis des mois par toute une frange de l’opposition. En revanche, la réunion de Nairobi a confirmé l’ambition de Joseph Kabila de fédérer autour de lui les adversaires de Félix Tshisekedi. Son entourage ne cache plus guère sa volonté de prendre les rênes de la contestation et de s’imposer comme un recours potentiel en cas de transition ou de dialogue. Ce repositionnement constituait l’un des objectifs du “comeback” médiatique opéré entre février et juin dernier, après plus de six ans de silence. Bien que la séquence n’ait que partiellement porté ses fruits, Joseph Kabila veut aujourd’hui ouvrir « un deuxième chapitre”, ainsi que l’explique un de ses proches.
Des discussions engagées depuis quatre mois
En conviant des acteurs qui n’appartiennent pas à son camp politique, l’ancien président a voulu endosser un costume de rassembleur. Mais, de ce point de vue, le conclave de Nairobi n’a connu qu’un succès en demi-teinte et, alors que les discussions préparatoires avaient débuté il y a plus de quatre mois, plusieurs personnalités de premier plan n’y ont pas pris part. C’est notamment le cas de Moïse Katumbi. Associé depuis le départ au projet, il n’a pas fait le déplacement – son entourage évoque un problème de passeport – et ne s’est pas fait représenter. Également conviés, Delly Sesanga et Jean-Marc Kabund ne sont pas non plus venus au Kenya.
Dans l’entourage de certains des absents, des critiques ont émergé sur le format d’une rencontre trop centrée autour de l’ancien président. “Joseph Kabila s’est comporté comme s’il était encore chef de l’État. Ce n’est pas une manière sereine d’engager des discussions”, critique ainsi une personnalité qui n’a pas souhaité répondre à l’invitation. « L’idée n’était pas de rassembler tout le monde dès la première réunion, relativise Seth Kikuni, qui fut autrefois un adversaire de Kabila. Il y avait une demande, au sein de l’opposition, pour une telle rencontre parce qu’il y a un constat partagé sur la situation politique du pays. Dans ce cadre-là, avoir un ancien chef d’État qui se mobilise est un atout.”
Plusieurs participants assurent que la prochaine étape consistera désormais à convaincre d’autres poids lourds de rejoindre cette nouvelle plateforme, à commencer par Moïse Katumbi et Delly Sesanga. Martin Fayulu n’a, quant à lui, pas été convié.
« L’idée n’est pas de donner un blanc-seing à Kabila »
De fait, les adversaires du président Tshisekedi ont beau formuler aujourd’hui des critiques communes, ils demeurent divisés sur la marche à suivre. La proximité affichée par Joseph Kabila avec les rebelles Alliance fleuve Congo/M23 (AFC/M23) fragilise par ailleurs sa capacité à élargir ses soutiens.
À défaut de faire l’unanimité, Joseph Kabila est tout de même parvenu à rallier les participants au conclave à son “pacte citoyen” en douze points, annoncé lors de son dernier discours, le 23 mai. La déclaration finale de son conclave a aussi dénoncé le “verdict inique” et la condamnation à mort prononcée à son encontre le 30 septembre. “L’idée n’est pas de donné un blanc-seing à Kabila mais de se réunir déjà derrière un constat et faire monter la pression sur le pouvoir pour qu’il dialogue”, nuance l’un des participants de la société civile.
Une réunion “de fugitifs et de condamnés”
Pour autant, de nombreuses questions se posent déjà sur l’avenir de cette plateforme et sa capacité à réunir des personnalités si différentes derrière une même stratégie. Elle appelle à la tenue d’un dialogue national inclusif, mais les chances pour que cela aboutisse sont pour l’instant bien maigres. En privé, certains proches de Kabila disent être bien conscients qu’un dialogue entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur est difficilement envisageable, et maintiennent un discours ambigu sur la possibilité d’un recours à la force.
Le président lui-même a été très clair le 11 octobre, lors d’une rencontre avec la diaspora de Belgique. Ce jour-là, il a réaffirmé son refus de discuter avec ceux qu’il considère comme “des émissaires des agresseurs”. Interrogé sur la tenue du conclave de Nairobi, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a quant à lui, dénoncé une réunion “de fugitifs et de condamnés” sous un “prétexte de paix”.
Jeune-Afrique
