(Par Eric Kamba, Analyste politique et Coordinateur de CADA)
Le Gouvernement Rishi Sunak a gagné le pari de l’expulsion des migrants arrivés illégalement au Royaume Uni vers le Rwanda contre le versement de sommes faramineuses, dont un acompte déjà libéré de 256 millions d’euros. Le 23 avril, la Chambre des lords a fini par lâcher du lest devant la pression tous azimut de celle des communes, faisant agréer de ce fait par le Parlement britannique le projet de loi y relative dénommée «Safety of Rwanda» (Sûreté du Rwanda). Déjà meurtrie, la RDC risque de payer le prix de cette décision que d’aucuns, de par le monde, jugent contraire au droit international, immoral, dispendieux, voire impossible à mettre en œuvre, si jamais le Rwanda ne sait pas contenir sur son territoire ses visiteurs insolites. L’anticipation est vivement recommandée.
Le Royaume Uni n’en peut plus avec de dizaines de milliers de migrants illégaux qui débarquent au fil des années sur son territoire. Selon des statistiques (Le Monde), elles étaient 45 mille en 2022, 30 mille en 2023 et 6 200 début 2024, ces personnes fuyant, notamment, la guerre et la pauvreté dans leurs pays d’origine, à traverser la Manche au péril de leur vie pour gagner l’eldorado. Un rapport parlementaire fait état de plus de 67 mille demandes d’asile déposées en 2023.
Afin de faire face à cette situation de plus en plus intenable, Londres, à travers le premier ministre Boris Johnson, politique poursuivie d’arrache-pied par son successeur Rishi Sunak, imagine un sésame pour freiner la hausse des demandes d’asile et des arrivées clandestines : expulsion vers le Rwanda des étrangers arrivés «illégalement ou par des moyens dangereux ou inutiles en provenance de pays sûrs» après le 1er janvier 2022 quelle que soit leur origine. Désormais donc, le Rwanda se voit confier la sous-traitance des demandes d’asile au Royaume Uni.
En cas d’approbation, les requérants seront autorisés à rester au Rwanda. Dans le cas contraire, ils peuvent demander à s’y installer pour d’autres motifs, ou solliciter un autre «pays tiers sûr». Cependant, quelle que soit l’issue de cet examen, ceux-ci n’ont aucune possibilité de revenir au Royaume Uni.
La mise en œuvre de l’accord conclu à cet effet entre Londres et Kigali en avril 2022 a débouché sur le projet de loi « Safety Rwanda » qui a suscité des récriminations auprès de bien d’instances. Ce qui a empêché le départ de la première vague de migrants en juin 2022.
Recalé au Parlement britannique suite à une bataille intense entre la Chambre des lords et celles des communes et à la Cour Suprême qui l’avait jugé illégal en novembre 2023, ce projet de loi a été finalement adopté le 23 avril 2024, ouvrant ainsi la voie à l’expulsion vers le pays de mille collines des migrants arrivés illégalement en Grande-Bretagne.
Le Premier ministre Rishi Sunak s’est félicité du vote de la loi, promettant ainsi une vague d’expulsions des migrants vers le Rwanda dès le mois de juillet. Il a averti que Londres n’entend nullement fléchir devant des objections d’aucune cour et que son gouvernement compte, du reste, limiter les recours en justice pour lesquels 150 juges et 25 cours ont été identifiés pour examiner des appels en urgence.
Une manne pour le Rwanda
L’expulsion des migrants arrivés illégalement au Royaume Uni vers le Rwanda est, à la limite, un business. Elle va se faire contre le versement de sommes faramineuses en faveur du Rwanda. Bien qu’aucun renvoi n’ait encore eu lieu, Londres a déjà avancé 220 millions de livres, équivalent de 256 millions d’euros, soit 274 millions USD.
En outre, Le Royaume Uni a consenti d’allouer à Kigali 150 millions de livres supplémentaires au cours des trois prochaines années et 120 millions une fois que les 300 premiers demandeurs d’asile y fouleront le sol. A ce total s’ajoutent 20 000 livres supplémentaires par personne expulsée et 150 874 livres pour les frais de traitement de chaque cas, soit 51 262 200 livres pour 300 personnes expulsées.
Tout compte fait, le Rwanda recevra une enveloppe de 541 262 200 livres, soit 682 millions USD avec une parité de 1,26 USD pour 1 livre. Il va donc sans dire que l’opération d’expulsion des demandeurs d’asile au Royaume Uni vers le Rwanda constitue une véritable manne pour ce dernier.
Le premier ministre Rishi Sunak s’est réservé de donner le chiffre de personnes concernées, mais a promis qu’il y aurait plusieurs vols par mois pendant l’été et par la suite. Des avions ont d’ores et déjà été réservés et des vols programmés.
Selon BBC, 52 000 personnes seraient ainsi dans le viseur du gouvernement britannique. Traduit en argent, ce nombre présage des milliards USD que le Rwanda pourrait, in fine, encaisser. Pour un pays à la quête des ressources par n’importe quel moyen, cet accord, à la limite du «trafic d’êtres humains» est une véritable aubaine.
Les raisons de s’inquiéter pour la RDC
Malgré l’absence d’une justice indépendante et de lueurs de la démocratie, le Rwanda a été proclamé «pays sûr» par le Parlement britannique. A ce titre, il est éligible à l’accueil des migrants illégaux expulsés du Royaume Uni dont il doit examiner les demandes d’asile. Toutefois, il est à noter, aux termes de l’accord, que quelle que soit l’issue de cet examen, les requérants n’ont aucune possibilité de se retrouver outre la Manche.
En cas d’approbation, ils seront autorisés à rester au Rwanda et, en cas de rejet, ils peuvent demander à s’y installer pour d’autres motifs, ou solliciter un autre «pays tiers sûr».
A vrai dire, l’expulsion vers le Rwanda est une voie de non-retour au Royaume Uni pour ces milliers de demandeurs d’asile. Ce qui implique que ce pays, avec une densité explosive et à la recherche des terres, doit être à même de recevoir et d’installer sur son territoire exigu plus de 50 mille personnes venant d’ailleurs et par vagues successives.
Point de doute. Il y a plus de crainte que la RDC soit enfin la principale destination finale de ce trop-plein de personnes que le Rwanda pourrait déverser à nouveau sur son territoire. Ce qui pourrait en rajouter à l’insécurité que l’est du Congo connaît depuis 30 ans.
En effet, tous ces demandeurs ne sont pas des enfants de chœur. Sans doute, il y a parmi eux des combattants islamistes qui pourraient faire jonction avec ces Somaliens et Kenyans qui infectent, aux côtés des rebelles ougandais (ADF), la partie nord de la province du Nord-Kivu.
Il reste cependant que pour des motivations politiciennes en perspective des prochaines élections pour lesquelles les sondages donnent perdants les conservateurs que le gouvernement Rishi Sunak fasse niveler vers le bas la plus ancienne démocratie du monde.
Le Rwanda n’est pas à sa première expérience. En son temps, il avait, en plus de l’Ouganda, signer un accord demeuré secret avec l’Israël pour recevoir des demandeurs d’asile africains y expulsés ; lequel accord comportait un volet financier important. En fin de compte, aucun des demandeurs d’asile expulsés d’Israël, selon Amnesty international, n’a été régularisé à leur arrivée dans le pays, ni obtenu les permis de séjour et de travail promis.
La RDC se doit bien de suivre ce dossier des migrants qui seront expulsés du Royaume Uni. Au besoin, elle doit anticiper sur les répercussions que cela pourrait avoir sur son territoire.