(Par Professeur P. Ngoma-Binda, Université de Kinshasa, bindadekin@gmail.com)
Une requête en interprétation des dispositions constitutionnelles, pourtant, claires sur les incompatibilités ? Député ou Sénateur élu et, en même temps, Ministre ou Mandataire public ? Rester au pouvoir à tout prix ? Le cumul de fonctions : une injustice politique et sociale ?
Le cumul n’est ni efficient, ni socialement juste
Le bon fonctionnement d’une société réclame le respect rigoureux des lois et principes estimés corrects qu’elle se donne elle-même dans son organisation interne et son fonctionnement. En l’occurrence, le respect du principe de non-cumul de fonctions et de mandats comporte un haut caractère éthique et civique de la part des hauts responsables. Le cumul de fonctions ou de mandats politiques, prohibé dans le cadre des incompatibilités, est une infraction à la loi, voire un crime d’injustice.
C’est à ce titre que la Cour constitutionnelle aurai pertinemment répondu, de manière négative, à la requête introduite, le 1er février 2024, par le Premier Ministre, relativement à la possibilité pour les Ministres élus Députés de pouvoir continuer à exercer les deux fonctions et mandats jusqu’à la nomination du nouveau Gouvernement.
Cette demande de cumul de fonctions est juridiquement inutile, moralement vicieuse et rationnellement inacceptable. En effet, la Constitution stipule, très clairement, en son article 108, que « le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec les fonctions ou mandats de membre du Gouvernement », et autres. Et cela, même provisoirement.
On estime que cette demande superfétatoire comporte un aspect d’incivisme caractérisé en tant qu’elle rechercherait, subtilement, auprès de la caisse des finances publiques de l’État, une double rémunération prohibée.
Et, elle aurait un aspect immoral en tant qu’elle est une tentative, bien que visiblement illégale et désespérée, de vouloir demeurer le plus longtemps possible au double niveau de pouvoir, exécutif et législatif, jusqu’à l’installation du nouveau gouvernement. Installation pouvant prendre un temps relativement long voire excessivement long, comme on l’aura connu dans le passé de notre pays, spécialement au niveau de la présidence de la république.
En outre, il apparaît que les dispositions constitutionnelles relatives aux « incompatibilités » sont lacunaires. Il devrait être en effet juste et impératif de consacrer le non-cumul universel de fonctions dans le cadre des institutions et services publics à tous les niveaux et dans tous les secteurs.
Ainsi, aucun parlementaire ne devrait en même temps occuper des fonctions au sein des entreprises publiques, ni comme « mandataire public actif » comme la Constitution le stipule, ni même comme membre « passif » furtivement rémunéré comme bénéficiaire de primes copieuses (Administrateur, Président du Conseil d’Administration) : une pratique astucieusement instituée aux fins de constitution et d’entretien d’une clientèle politique, chaque jour nourrie aux prébendes depuis les caisses des entreprises publiques. Le mandant chef d’équipe attendant en retour des retombées ou rétro-commissions électorales au moment propice.
Des longueurs d’avance injustes
Le cumul de fonctions par un parlementaire entraîne un réel et injuste avantage financier, social et psychologique sur les autres. Sur ses pairs non nommés à des postes exécutifs, et sur ses concurrents potentiels dans la course à la réélection lors des échéances ultérieures. En plus d’un possible conflit d’intérêt en termes, comme noté plus haut, d’une double rémunération logiquement indue, d’après la loi, auprès de la même caisse financière publique.
Mais, bien plus encore, la pratique de cumul de fonctions relève d’un égoïsme politique évident exécrable. Principalement, vis-à-vis des jeunes diplômés compétents sans emploi qui, chaque jour en nombre croissant, circulent désespérément de bureau à bureau avec des lettres de demande d’emploi, des curriculums vitae et diplômes finalement délavés sous les aisselles.
Le cumul de fonctions par les personnes adultes, et « vieilles » sur la scène politique, écarte les jeunes de l’opportunité d’insertion dans un travail rémunérateur, et les prive de leur devoir de participation à la construction du pays, tout comme de leur droit à une vie épanouie. Dans cette perspective, le cumul de fonctions par un seul individu distinctement rémunérées est une funeste pratique incivique égoïste.
Le cumul donne une injuste longueur d’avance au bénéficiaire. Il est favoritisme. C’est là donc une question à la fois éminemment éthique et simplement pragmatique. Le législateur doit la prendre très au sérieux. Pour éviter des injustices génératrices de frustrations et d’inégalités sociales profondes dans une société qui se veut solidaire.
Cumul de fonctions : réactiver le principe de la mise en disponibilité
Au nom de l’impératif de civisme, le caractère universel évoqué ci-dessus du non-cumul de fonctions devrait aussi concerner tous les agents publics de l’Etat. Une telle disposition serait absolument salutaire à nos institutions et services publics, comme les hôpitaux publics où les médecins spécialistes sont quasi absents, ne se présentant pour quelques minutes que deux ou trois fois par semaine ou même par mois à l’hôpital.
Et cette disposition devrait être bénéfique aux universités et instituts supérieurs publics où les professeurs nommés à des postes exécutifs de travail accaparant, comme ministres, mandataires publics ou conseillers dans des cabinets politiques, n’ont guère le moindre temps pour s’occuper des enseignements et, encore moins, de la recherche scientifique.
A cet effet, il est impératif, au nom de l’efficacité, de réactiver le principe de la mise en disponibilité de tout enseignant appelé à œuvrer ailleurs, et pour toute la durée des fonctions politiques en dehors de l’université.
La mise en disponibilité implique celui qui la demande réoccupera son poste dès la fin de ses fonctions en dehors de son service de base. Le non-cumul aide le pays à mieux avancer vers le développement et l’harmonie sociale.
