(Par le Prof. Patience Kabamba)
Les enseignants du primaire, dont dépend le développement intellectuel de la jeunesse congolaise, tirent 250 000 francs congolais (environ 100 dollars) par mois du trésor public, un fonds commun à tous les Congolais. Les membres du parlement (après les révélations non-contredites de Fayulu et Sesanga,) en ajoutant des finances publiques tangibles et intangibles, reçoivent jusqu’à 21 000 $ le mois.
L’écart décile (le quotient entre le salaire minimum et le salaire maximum) dans les pays industrialisés est de 1/100 ou 1/50. Tous les efforts des industriels et des syndicats visent à réduire ces écarts à 1/10, de préférence 1/4. On parle d’industries capitalistes où les actionnaires font 100, 50 ou 10 fois plus de profit que les travailleurs. En République Démocratique du Congo, on parle de travailleurs payés par l’État, qui reste le premier employeur, avec un écart décile de 1/210. C’est le destin que nous vivons sans broncher, entravant le développement de notre pays.
MDW a voulu faire un détour théorique avant de proposer des solutions pratiques. Le concret ne peut être atteint que par l’abstraction théorique. Cet armement théorique de Marx peut nous donner la force d’échapper à la misère dans laquelle nous nous sommes enfermés de manière consensuelle. Nous avons maintenu des rapports de production capitalistes alors que tout ce qui appartient au trésor commun nous appartient à tous.
« Dans la production sociale de leur être, les hommes entrent dans des rapports nécessaires, déterminés, indépendants de leur volonté, qui correspondent au degré défini de développement de leurs forces productives… » (Marx, Préface à la Critique de l’économie politique, 1859)
La grande pensée de Marx ici est que l’homme se crée lui-même. Il n’est pas naturel. Ce n’est pas une idée propre à Marx, elle vient des Lumières, on la retrouve aussi chez Rousseau. L’écart salarial est en effet de notre fait. Nous avons créé des êtres sociaux où certaines personnes pompent 210 fois plus d’argent que d’autres dans le même pot. Il faut donc affronter ces deux classes : les enseignants qui produisent plus qu’ils ne consomment (les enseignants sont responsables du développement des jeunes esprits), et les élus qui consomment plus qu’ils ne produisent. Les écarts salariaux sont en effet de notre fait – ils nous placent dans un rapport de production qui ne correspond tout simplement pas au niveau de production de notre pays, ici et maintenant. La concurrence pour le cobalt congolais, actuellement monopolisé par les suisses Glencore et China Molybdenum Corporation (CMOC), est vendue dans tous les pays où les véhicules électriques remplacent les véhicules à énergie fossile. Des dizaines de travailleurs de ces usines, en particulier des camionneurs, ont été contraints de subir une opération de la colonne vertébrale et ne sont pas sûrs de trouver du travail à leur sortie de l’hôpital. Les humains ont été réduits en haillons dans les mines de Kolwezi. Lorsque vous ne serez plus utile, l’entreprise vous licenciera sans autre forme de procédure. Des millions de dollars de l’exploitation du cobalt de Kolwezi vont au trésor congolais, avec un ratio de répartition de 1/210. Un enseignant qui ne retire que 100 dollars par mois est tout simplement en dessous du niveau de production de son pays.
Le mot production n’est pas la même chose que la simple fabrication, « pro » implique avoir un but. Notre objectif est de rendre les congolais heureux. Si cet objectif est confisqué par une minorité, il faut à tout prix changer les rapports de production. Les Députés obtiennent 210 fois plus d’argent que les enseignants, ce qui est incroyable. Marx ne nous a pas demandé de tuer les représentants du peuple ou les membres du gouvernement qui protégeaient ce rapport de production frauduleux, mais il nous a demandé de changer les relations productives qui abusaient des enseignants et des autres personnes à faible revenu. Rapport de production modifié au lieu de guillotine. Comment cela peut-il être fait sans recourir à la violence ? La solution dans ce cas est de diviser par sept les salaires des députés et des sénateurs. La même opération sera répétée pour les plus hauts salaires de sorte que le plafond soit de 3000$ pour tous, pas plus. J’avoue qu’il sera impossible de le faire sans une certaine dose de violence.
Les gens sont libres de gagner 21000$ par mois, mais dans leur businesses personnels, pas dans le service civil où le trésor public est un bien commun. Dans le Contrat Social, Rousseaux nous rappelle que “la force a fait les premiers esclaves et leur lâcheté les a perpétués”. L’ordre actuel de notre société est sujet à un changement drastique.
Une fois que l’on est arrivé à réduire les salaires des politiques à 1/7, tout cet argent ne sera pas donné à ceux qui gagnent moins, il sera investi dans les projets de développement : construction des routes de dessertes agricoles pour permettre l’évacuation des produits agricoles qui pourrissent à l’intérieur du pays. Cela permettra de mettre de l’argent entre les mains des paysans, et cela rendra la vie moins chère. L’enseignant peut survivre avec ses 100$ mensuels parce que les articles couteront moins chers à cause des améliorations de la production locale et des routes et des chemins de fer pour désenclaver le pays profond.
La leçon que Marx nous enseigne est que ce que l’homme a fait, l’homme peut aussi le défaire. C’est le cas des écarts colossaux des salaires. Nous devons les défaire pour le développement de notre beau pays car les rapports de productions dans lesquels ces différences des salaires nous plongent deviennent des entraves au développement du Congo.