Une politique de troisième mandat ? De toute évidence, il est scandaleusement provocateur de poser une telle question. Elle n’est ni pertinente, ni opportune. En plus, elle relève des matières constitutionnellement verrouillées, non susceptibles de révision. Pourtant, en toute intelligence, elle doit être posée. Peut-on réviser la Constitution ?
Une révision de la Constitution réclame un temps non suspect, elle doit s’effectuer intemporel non suspect, comme disent les juristes. Mais, quel est ce temps qui puisse échapper à la suspicion ? Comment pouvoir le trouver, toute idée évoquant la révision étant fatalement suspecte, surtout quand elle doit concerner des matières considérées comme » ver[1]rouillées « , non révisables ? La récente initiative intellectuelle du collègue pro[1]fesseur Ndaywel è Nziem a en effet été largement contestée. Mais, une nation intelligente doit se donner le courage de rectifier ce qui gêne, ce qui la met en difficulté et retarde sa marche vers le progrès.
La révision n’est indécente et reprochable que si elle doit être instrumentalisée pour servir les intérêts du pouvoir en place. Je m’engage dans le débat, à partir de la question, éminemment délicate, de la limitation des mandats. Et je soutiens qu’il est rationnel et raison[1]nable que le mandat soit de cinq ans et renouvelable deux fois, et que cette disposition soit valable pour tous les élus à tous les niveaux et dans toutes les institutions du pouvoir politique. Pourquoi pas le troisième mandat, à partir de 2028 ? Dans notre système démocratique, les mandats aux fonctions de Président de la République et de Gouverneur de Province sont limités en durée et en nombre. Qu’est-ce qui justifie la limitation à deux mandats ?
Pourquoi pas un seul ? Pourquoi pas plus de deux ? Et, plus fondamentale[1]ment, pourquoi instituer la limitation de mandats dans un régime démocratique, en principe concurrentiel de manière tendanciellement parfaite ? Ne serait-il pas bon que celui qui aura objectivement bien travaillé pour son peuple soit laissé en place, ou soit autorisé à se représenter, indéfini[1]ment, sans limitation, jusqu’à la fin de sa vie ou jusqu’à ce que, contraint par l’usure de la nature humaine et du pouvoir, il en parte ou en soit écarté, tranquillement ou brutalement ? C’est, en effet, cette logique qui apparaît dans les pays à système de » monarchie démocratique « , ou de » démocraties royales héréditaires » hypocritement dites des » monarchies constitutionnelles » comme en Angle[1]terre, en Belgique, au Maroc, au Le[1]sotho, à l’Eswatini et ailleurs, comme dans nos systèmes coutumiers africains. Dans ces systèmes politiques, la limitation de mandats est inconnue, et quiconque se risque à en parler est inévitablement et dictatorialement frappé d’hérésie, de sacrilège, de condamnation pour crime de lèse-majesté, ou de profanation du roi, fils unique et éternel du dieu vivant. La validité du principe de l’imitativité au sommet de l’État est évidente dans un système authentique[1]ment démocratique. En plus de la loi de performance décroissante ou d’inévitable étiolement des forces physiques et intellectuelles par le fait de l’âge, du travail et de la routine, on pense et on sait d' » expérience éternelle » (depuis Montesquieu) que » tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser « . On sait que le pouvoir use et que tout dirigeant au sommet du pouvoir est tenté de verser dans des abus, volontairement ou inconsciemment, de plein gré suivant ses avidités personnelles ou poussé par la gloutonnerie des courtisans, hommes et femmes de son entourage biologique et politique. Il faut donc l’en empêcher, pour le bien de la nation et pour le propre bien de l’homme au pouvoir. Mais, par ailleurs, si on prend au sérieux la fonction des autres institutions politiques électives, le même principe de limitation de mandats ne devrait-il pas également s’appliquer ?
Ainsi, dans une société bien or[1]donnée, le Sénateur ou le Député, national ou provincial, devrait-il logiquement voir son accession au pouvoir limitée à un nombre légal raison[1]nable de mandats ou d’années. Sur le sujet, les points de vue sont assurément très divergents. Je sou[1]tiens, pour ma part, que le mandat doit être limité, celui du Président de la république et du Gouverneur et, aussi, celui des Sénateurs et des Députés (nationaux et provinciaux) ainsi que celui des Conseillers urbains, communaux et sectoraux, bref, celui de tous les élus du peuple, à tous les niveaux. Et je juge raisonnable que le mandat soit fixé à cinq ans renouvelable deux fois, soit au total (pour toute la vie d’une personne) quinze ans de durée de vie au pouvoir de façon soit continue soit discontinue, et toujours à la faveur d’une élection pour chacun des mandats. Aucune candidature d’une personne ayant épuisé ses quinze ans de vie au pouvoir n’est admissible. N’ayant pas été à l’école pour exercer (et uniquement) le » métier » ou la profession de Président de la République ou de Parlementaire, quiconque a épuisé ses trois sessions de pouvoir est appelé à aller exercer la fonction pour laquelle il aura eu une spécialisation académique, scientifique ou professionnelle, comme agriculteur, agronome, médecin, ingénieur, enseignant d’université (éventuellement après recyclage ou ré-immersion), etc. Les raisons d’un possible troisième mandat Trois raisons fondamentales sont à invoquer pour soutenir la limitation de mandats des élus, au parlement comme à la présidence, de la province et de la république. La première est l’application du principe de justice. Il s’agit de devoir écarter une injustice par rapport à la limitation imposée au Gouverneur et au Président de la République. Pourquoi le mandat de ces derniers doit-il être limité à un seul renouvellement, quand celui des parlementaires élus est sans limites ?
Ni l’importance, ni la pénibilité du travail à accomplir au sommet de l’Exécutif ne permettent de décréter un dirigeant politique incapable de continuer à travailler du seul fait qu’il aura épuisé deux mandats, comme si toutes ses énergies étaient aussi automatique[1]ment et totalement épuisées, et même s’il est très objectivement compétent, vertueux et encore physiquement fort et en bonne santé. C’est ce contre-argument dont se nourrit, avec sans doute une certaine légitimité, le désir de » troisième mandat « , bien moins comme boulimie du pouvoir que comme volonté de continuation d’un travail estimé inachevé avec des énergies non épuisées. Il semble que la » démocratie » religieuse de l’Église catholique institue aussi cette logique : un évêque ne quitte le pouvoir qu’à l’âge canonique, à moins qu’il n’ait commis une grave forfaiture ou, dans le langage consacré, un grave péché socialement ou théologiquement mortel ou qu’il n’ait été contraint à une retraite anticipée. La deuxième raison en faveur de la limitation pour tous est le principe de la nécessaire solidarité intergénérationnelle. Il s’agit de ne point accorder un avantage compara[1]tif aux » vieux » par rapport aux jeunes gens candidats aux mêmes postes électifs législatifs ou exécutifs. En effet, le » vieux » aura eu, en principe, l’avantage à la fois de ressources financières accumulées durant toute la mandature antérieure et de capital de sympathie résultant des » réalisations » éventuelles sous la forme d’une certaine redistribution à la » base « , à ses électeurs. Le jeune novice dans la course politique est handicapé dès le départ s’il n’a point un soutien préalable quelconque. Or, dans une démocratie authentique, il ne doit être per[1]mis à un concurrent d’avoir une injuste longueur d’avance sur les autres. Le départ se fait depuis la même ligne et au même signal ou son de cloche. Sous un autre aspect, il faut con[1]sidérer que la limitation est une justice en faveur des plus jeunes citoyens chercheurs d’emplois. Une juste concurrence doit se faire à base des conditions de départ idéalement égales pour tous. Quand les mêmes personnes – finalement » ménopausées « , di[1]sent certains jeunes méchants – reviennent à chaque législature avec beaucoup de moyens financiers de campagne électorale, des frustrations justifiées naissent dans les cœurs des autres citoyens, concurrents ou non, peut-être injustement non favorisés par le sort ou par leur venue au monde tardive. La troisième raison, d’ordre pratique, est celle du temps d’action suffisant. D’expérience vécue rationnelle, une durée de quinze ans au pouvoir est raisonnable (plutôt que cinq ou dix) et suffisant en tant qu’elle permet la performance dans la réalisation du programme de gouvernement qu’un dirigeant politique sérieux et responsable se sera donné. Quand on sait que la durée moyenne de séjour au pouvoir des présidents africains est de plus de vingt-cinq ans environ, on devrait pouvoir considérer notre proposition comme raisonnable et acceptable. Rappelons-nous que, pour quelques morts : Omar Bongo avait fait 42 ans au pouvoir ; Mouammar Kadhafi 42 ans ; Robert Mugabe 37 ans ; Mobutu Sese Seko 32 ans ; et même au pays qui est dit être le modèle de démocratie, Léopold Sédar Senghor avait fait 20 ans au pouvoir ; pour quelques vivants, en 2023 : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo vient de faire 44 ans jusqu’ici ; Paul Biya, 41 ans jusqu’ici ; Denis Sassou-Ngwesso, 39 ans jusqu’ici ; Yoweri Museveni, 37 ans jusqu’ici ; Paul Kagame, 23 ans jusqu’ici. Pourquoi donc cette farouche et irrésistible envie de prolongation voire d’éternité au pouvoir ? C’est une grave erreur de vouloir minimiser la question, et toute vision psychologique et réa[1]liste des choses. Un troisième mandat ? Pourquoi pas un quatrième, un cinquième, … et à vie ? En fin de compte, la justification logique ici énoncée de la durée au pouvoir des élus rend caduque, comme irrecevable et non fondée, la crainte de tout » troisième mandat « . Pourvu que, dira-t-on, la soif d’un » quatrième « , ou de plus, ne se fasse point sentir, l’appétit venant en mangeant… Mais, il y a des remèdes limitatifs efficaces à imaginer et à mettre en place. Premièrement, une telle disposition ne peut être d’application qu’à un temps non suspect, soit à partir des élections de 2028, si elle est adoptée avant cette date. Deuxièmement, toute volonté de pouvoir excessive sera formellement prohibée par la loi, sans possibilité de révision, du moins à plus ou moins court ou moyen terme ; et toute velléité de plus de trois mandats sera drastiquement réprimée par le peuple au nom du peuple propriétaire et détenteur suprême du pouvoir d’Etat. Troisièmement, il n’est point nécessaire qu’un détenteur de pouvoir fasse absolument trois ou même deux mandats : il peut tranquillement se retirer lorsqu’il le juge nécessaire, par exemple pour des raisons personnelles d’occupations ailleurs, de santé ou même de fatigue du pouvoir. Quatrièmement, en application du principe de vetting politique (à instituer absolu[1]ment), aucun dirigeant n’est admissible au rempilage, au renouvellement de sa candidature si sa gouvernance antérieure n’a point été objectivement jugée saine, satisfaisante et performante. Le troisième mandat est réprouvé, est difficile à accepter. Mais, ne serait-il pas idiot ou ne serait-ce pas faire de la politique de l’autruche à ne point y réfléchir ? Entre le troisième et l’éternité dictatoriale, où le moindre mal ? Entre un renouvellement et deux renouvellements, où se trouve le plus grand bien