Dans le cadre du projet d’accord sur la paix et la sécurité de la République démocratique du Congo, récemment précédé par une déclaration d’intention signée à Washington, il est essentiel de distinguer les intentions affichées des logiques réelles sous-jacentes. En effet, derrière le langage diplomatique de la stabilité et de la sécurité, se profile un important volet économique, qui semble orienté non pas vers un partenariat structurant, mais vers la mise en place de mécanismes d’investissement privé présentés sous couvert de philanthropie ou de développement.
Les annonces faites ne relèvent pas de financements publics mobilisés dans le cadre d’une coopération bilatérale classique d’État à État. Il s’agit principalement de capitaux privés, dont l’engagement n’est soumis ni à des obligations de résultats mesurables, ni à un encadrement institutionnel garantissant des retombées structurelles pour la RDC. Ce modèle d’intervention- fluide, déterritorialisé, orienté vers des intérêts immédiats et parfois opaques ne correspond pas aux besoins fondamentaux et urgents d’un pays en quête de reconstruction, de stabilité institutionnelle et de souveraineté économique.
Ce dont la RDC a besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’un simple flux d’investissements étrangers dictés par les logiques du marché, mais d’un véritable partenariat de développement, politiquement assumé, économiquement structurant et historiquement porteur. À cet égard, l’expérience américaine de l’après-Seconde Guerre mondiale offre des références éclairantes. Le Plan Marshall, conçu pour la reconstruction de l’Europe, et le Plan Dodge, mis en œuvre pour redresser le Japon, constituent deux exemples emblématiques d’une coopération internationale fondée sur la reconstruction durable, l’encadrement stratégique et la responsabilisation mutuelle. Ces programmes n’étaient pas de simples donations ou des interventions caritatives : ils étaient des instruments de transformation systémique, portés par une vision politique et économique à long terme.
Transposé à la RDC, un modèle de ce type reposerait sur trois piliers fondamentaux :
- Une aide bilatérale d’État à État, solidement articulée autour d’un plan national de développement, élaboré en commun avec les institutions congolaises. Ce plan viserait des secteurs clés tels que : la modernisation des infrastructures de base (routes, ponts, aéroports, hôpitaux, universités), la réforme du système judiciaire, la professionnalisation des forces armées, le renforcement de l’administration publique et la mise en place de mécanismes de transfert technologique. L’appui américain se ferait dans un cadre contractuel transparent, avec des engagements de performance évalués par des instances de suivi bilatérales.
- Une implication encadrée du secteur privé américain, mais dans une logique d’investissement à long terme, compatible avec les objectifs de développement définis par le plan national. Les entreprises minières, par exemple, opéreraient sous un régime de concessions strictement encadrées. Elles s’engageraient à rembourser les montants investis par l’État américain dans le cadre du plan, et à redistribuer une partie des bénéfices à travers un mécanisme contrôlé par les deux États. Les équipements stratégiques nécessaires à l’industrialisation (machines agricoles, trains, turbines, navires) seraient produits aux États-Unis et livrés à la RDC dans une logique de circuit fermé, garantissant la traçabilité des flux et l’effet de levier sur les deux économies.
- La valorisation du secteur privé congolais, appelé à jouer un rôle de pivot dans la relance économique et la création d’emplois. Une agence conjointe RDC–USA, dotée d’un mandat clair, serait chargée de redistribuer les biens et services importés dans le cadre du programme aux entreprises locales (PME, coopératives, sociétés d’État), sur la base de critères transparents. Les revenus issus de ces opérations alimenteraient un fonds de contrepartie, destiné à financer les projets structurants dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie, de l’éducation et de l’innovation.
Ce modèle alternatif, fondé sur la transparence, la réciprocité, la responsabilité partagée et l’ancrage local, se distingue radicalement des accords asymétriques actuellement proposés, dans lesquels des acteurs privés étrangers opèrent sans coordination stratégique avec l’État congolais, avec la bénédiction de certains décideurs mais sans bénéfice tangible pour les populations.
En somme, seule une approche systémique, planifiée, contractualisée et orientée vers l’intérêt général, peut offrir à la RDC une voie crédible vers une croissance inclusive, un développement durable et une souveraineté renforcée. Le moment est venu de dépasser les logiques extractivistes, de refuser les modèles de prédation sous habillage philanthropique, et de revendiquer une coopération digne, fondée sur des engagements clairs, des bénéfices mutuels et des résultats vérifiables. À l’image du Plan Marshall ou du Plan Dodge, la RDC mérite un véritable projet de reconstruction nationale, porté par une vision, un contrat et une volonté politique forte.
Professeur Aimé Mbobi