Face aux critiques selon lesquelles elle alimente une crise humanitaire, Bruxelles cherche à clarifier les objectifs de son pacte minier avec Kigali. Suite au génocide perpétré il y a 30 ans au Rwanda voisin, il s’agit de l’une des pires crises humanitaires au monde.
La faim de l’Europe en minerais pour ses voitures électriques et ses puces électroniques suscite des accusations selon lesquelles cela attise le conflit dans l’Est du Congo, l’une des pires crises humanitaires au monde qui a tué 6 millions de personnes au cours des dernières décennies. L’indignation a été provoquée par un accord sur les minerais stratégiques que la Commission européenne a conclu le 19 février avec le Rwanda, pays frontalier de la République démocratique du Congo. Pour l’UE-prise dans une course avec la Chine pour les richesses en ressources de l’Afrique centrale-l’ accord est une opportunité d’accéder aux ingrédients dont elle a besoin pour atteindre ses « objectifs » objectifs en matière d’énergie verte et propre ». Le critiques de l’UE rétorquent que l’accord créera un écran de fumée pour faire sortir clandestinement des « minéraux du sang » de l’Est du Congo notamment parce que le Rwanda est accusé de jouer un rôle décisif dans la guerre de l’autre côté de la frontière avec son soutien à un insurgé, le groupe rebelle appelé M23.
Le président congolais Félix Tshisekedi dont les forces combattent la milice M23, a dénoncé en quelques jours l’accord UE-Rwanda comme « une provocation de très mauvais goût ». Depuis la signature de l’accord, les combattants du M23 liés au Rwanda ont étendu leur emprise sur les ressources minières de l’Est du Congo. Fin avril juste au moment où le président Français Emmanuel Macron implorait le Rwanda de cesser de soutenir le M23 les rebelles se sont emparés de Rubaya, un haut lieu minier près de la frontière dans l’est du Congo. Une source d’ingrédients utilisés dans la fabrication de Smartphones et de voitures. Mais ce sont ces ressources minérales abondantes et leur contrebande qui contribuent souvent à financer les groupes armés dans l’est du Congo, alimentant une spirale de violence et de violations des droits de l’homme dans un conflit qui dure depuis des décennies et qui, outre les millions de morts, a entraîné le déplacement de 7 millions de personnes supplémentaires. L’accord envoie le message que « l’UE, parce qu’elle a besoin d’accéder aux minerais, peut aller au-delà des principes des droits de l’homme », a déclaré Emmanuel Umpula Nkumba, Alexis Huguet/AFP via Getty Images.
Au-delà des droits de l’homme l’UE a lancé des appels à la désescalade de la violence et s’est engagée à accroitre l’aide humanitaire, mais l’accord minier avec le Rwanda risque d’exacerber le conflit plutôt que de le réduire affirment les experts régionaux.
L’accord envoie le message que « l’UE, parce qu’elle a besoin d’accéder aux minerais, peut aller au-delà des principes des droits de l’homme », a déclaré Emmanuel Umpula Nkumba, directeur exécutif d’African Natural Ressources Watch, par téléphone depuis Lubumbashi dans le sud-est du Congo.
Le gros problème est que le Rwanda est l’une des principales destinations du coltan et d’autres minéraux passés en contrebande à travers la frontière orientale du Congo. Le Rwanda exporte plus de minerais destinés à être transformés et manufacturés qu’il n’en extrait, a déclaré ce mois-ci le Département d’Etat américain, citant de chiffres de l’ONU
La région des Grands Lacs présente un intérêt stratégique pour les puissances mondiales qui recherchent les minéraux et les métaux nécessaires aux éoliennes, aux panneaux solaires et à l’électronique grand public. C’est la source de la moitié du tantale mondial, extrait des minerais de coltan métallique et utilisé dans les composants électroniques. Confronté à de fortes réticences après la signature de l’accord, l’exécutif européen a tenté de clarifier ses intentions, a constaté POLITICO lors de conversations avec des responsables, des militants que l’accord s’aligne sur son programme en matière de droits de l’homme en contribuant à faire pression sur le Rwanda pour qu’il dispose de chaînes d’approvisionnement durables. « L’accord n’a pas été conclu avant tout pour obtenir l’accès aux minerais, mais pour susciter un changement sur le terrain », a déclaré un responsable européen, qui a requis l’anonymat car il n’était pas autorisé à s’exprimer publiquement.
La prospérité du Rwanda, la richesse du Congo.
Bruxelles veut non seulement rattraper la Chine, mais aussi faire tout pour préserver des normes environnementales et sociales élevées et conserver la valeur dans le pays miniers. Dans la région, Pékin entretient déjà des liens étroits avec le Congo et contrôle de vastes pans de son secteur minier. La Commission européenne qualifie le Rwanda d’« acteur majeur dans l’extraction mondiale de tantale », en soulignant sa production d’étain, de tungstène, d’or et de niobium. Le Rwanda, affirme-t-il, a le potentiel de devenir une « plaque tournante de la valeur ajoutée dans le secteur minier », prévoyant que l’industrie minière augmentera ses revenus d’exploitation à 1,5 milliard de dollars cette année, contre 373 millions de dollars en 2017. Cela fait sourciller les observateurs « Tout le monde sait que seule une fraction, une proportion infime, des exportations du Rwanda vient du Rwanda lui-même et que la plus grande partie vient du Congo », a déclaré Erik Kennes, chercheur principal au programme Afrique de l’Institut Egmont. Kennes a fait valoir que l’accord « justifie… et formalise » le commerce illicite. Le rôle de Kagame
Le président rwandais Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000 et réélu pour un quatrième mandat ce mois-ci obtenant un soutien de 99 pour cent lors d’élection hautement contrôlées a admis que son pays est devenu une voie de transit pour les minerais extraits de manière artisanale et semi-industrielle au Congo. Cet homme de 66 ans est salué pour avoir rétabli la stabilité après le génocide dévastateur de 1994, au cours duquel 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués. Mais Kagame a également été accusé par les Nations Unies de soutenir directement le M23, des rebelles de souche tutsi qui ont commencé à se réarmer il y a trois ans et contrôlent désormais des pans de territoire dans l’est du Congo, même si les intérêts du M23 ne peuvent être réduits à des gains commerciaux, les exportations rwandaises de minerais comme l’or et le coltan ont bondi ces dernières années. Kigali, qui ne divulgue pas ses chiffres de production nationale, affirme que le Congo manque de volonté politique pour mettre fin à la crise dans l’est du pays, qui a impliqué l’armée nationale congolaise, les rebelles de l’ethnie hutu, les voisins et les puissances régionales, dont l’armée rwandaise. Le M23, à son tour, nie toute implication dans la contrebande, arguant qu’il se bat uniquement pour protéger la population ethnique tutsie du Congo. Willy Ngoma, le porte-parole du groupe, a déclaré à POLITICO dans un message vocal que le M23 « n’est pas dans cette révolution pour les minerais », ajoutant que « la population est libre de faire du commerce ».
«Minerais du sang»
Jutta Urpilainen, commissaire européenne chargée des partenariats internationaux, et l’ancien ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta ont suscité l’indignation diplomatique lorsqu’ils ont signé l’accord en février au moment même où les affrontements dans l’est du Congo s’intensifiaient. En plus de qualifier l’accord avec l’UE de provocation, le président congolais Tshisekedi a déclaré que c’était « comme si l’Union européenne nous faisait la guerre par procuration ». En visite en Belgique fin février, Tshisekedi a annulé ses rendez-vous avec des responsables de la Commission, rencontrant à la place le Premier ministre belge Alexander De Croo, qui s’est joint à Tshisekedi pour snober l’accord et appeler à des sanctions contre le Rwanda. Le Congo a depuis appelé à un embargo international sur les exportations de minerais du Rwanda et a menacé de poursuivre en justice le géant de la technologie Apple pour avoir utilisé des « minerais du sang » de contrebande en provenance des zones de conflit au Congo. Interrogé pour commentaires, Apple a souligné son code rapport d’étape sur la résolution des problèmes sociaux et environnementaux dans sa chaîne d’approvisionnement. Demandez à la Commission, et elle vous dira que cet accord est exactement ce qui contribuera à mettre fin à de telles pratiques. L’accord vise à « soutenir l’approvisionnement, la production et la transformation durables et responsables des matières premières », a déclaré un porte- parole « objectif est d’accroitre la traçabilité et la transparence et de renforcer… contre le trafic illégal de minerais ». Les critiques craignent cependant que l’accord reflète la volonté de l’UE de sacrifier ses principes sur l’autel de la géopolitique : Bruxelles a de plus en plus recours à de tels accords de collaborations qui n’ont pas d’implications commerciales contraignantes mais sont plus faciles à conclure que les accords commerciaux traditionnels. Son objectif est de diversifier ses approvisionnements en minerais clés et contrer l’initiative Belt and Road de Pékin, un programme mondial de développement des infrastructures, avec sa propre stratégie, le Global Gateway. C’est une voie que le chef de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est engagé à maintenir au cours de son deuxième mandat. « II y a toute cette concurrence avec la Chine pour l’influence économique… et je pense que l’UE néglige un certain nombre d’aspects comme la souveraineté, la démocratie » a déclaré Eric Kajemba, directeur de l’Observatoire Gouvernance et Paix, une ONG congolaise. Bruxelles a cherché à clarifier les intentions derrière son accord minier avec le Rwanda, qui n’a reçu le feu vert des pays membres de l’UE qu’après d’intenses débats. L’accord, a déclaré le porte-parole de la Commission, s’inscrit dans la stratégie plus large de Bruxelles pour la paix dans la région des Grands Lacs. L’année dernière, le bloc a également conclu un accord minier avec le Congo dans le but de « renforcer la gouvernance, la diligence raisonnable et la traçabilité, et la coopération dans la lutte contre le trafic international illégal de matières premières ».
Dans un document sur sa stratégie régionale, distribué aux pays membres en juin et consulté par POLITICO, l’exécutif européen a affirmé qu’ « assurer la transparence et la et la traçabilité des ‘minerais de conflit » c’est-à-dire l’etain, le tantale, le tungstne et l’or est fondamental, donc que le contrôle de ces ressources et d’autres ressorces ne continue pas à alimenter les conflits, notamment par le biais de flux financiers illicites et des violations des droits de l’homme qui en découlent. Dans le cadre de son accord sur les minerais avec le bloc, le Rwanda a été invité à adhérer à l’initiative pour la transparence des industries extractives, une norme mondiale développée par une organisation norvégienne du même nom qui vise a promouvoir la gestion ouverte et responsable du pétrole, ressources gazières et minérales. Les militants et les chercheurs soulignent des moyens plus efficaces par lesquels l’UE pourrait faire pression sur le Rwanda, par exemple en suspendant son aide au développement l’UE est l’un des plus grands donateurs du pays Bruxelles souhaites également qu’elle fournisse une carte de routes les mines dans lesquelles elle s’approvisionne en minéraux et qu’elle utilise des outils scientifiques pour vérifie l’origine des minerais. Si le Rwanda ne remplit pas ces conditions, il ne sera pas possible de signer une feuille de route décrivant les prochaines étapes au cours des deux prochaines années, selon les responsables. Interrogé sur les progrès réalisés sur ces points depuis février, le porte-parole de la Commission n’a pas fourni plus de détails. Le gouvernement rwandais n’a pas répondu aux demandes de commentaires. Les militants et les chercheurs saluent ces mesures, mais ils relèvent des moyens plus efficaces par lesquels l’UE pourrait faire pression sur le Rwanda, par exemple en suspendant son aide au développement l’UE est l’un des plus grands donateurs du pays « il est intéressant de trouver de nouveaux moyens d’influencer la région », a déclaré Guillaume de Brier, chercheur au Service international d’information sur la paix qui se concentre sur l’analyse des conflits et les ressources naturelles en Afrique de l’Est.
« Mais jusqu’à présent, l’UE et l’Occident ont tenté d’influencer par le biais de réglementations telles que des lois sur les minerais dits de conflit et en aucun engagement plus important, tel qu’un processus de paix, ne pourrait être mis en place
Alexis Huguer/AFP via Getty 25
Juillet 2024 à 6H00 Cet par ANTONIA ZIMMER MANN