ORAISON FUNEBRE
Mesdames et Messieurs,
Blaise Pascal a dit: » la dernière étape de la raison, c’est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la dépassent. » Si les naturels peuvent nous dépasser, que peut-on dire des surnaturels ? Que dirons-nous de la mort ? Que dirons-nous du départ sans retour de notre Grand Maître ?
J’ai longtemps hésité à m’imposer l’observance du protocole pour la présentation de ce mot. La raison en est simple : celui à qui il est destiné a vécu en homme libre et affranchi. Libre et affranchi des clivages. Libre et affranchi des idées reçues. Libre et affranchi des préjugés. Libre et affranchi de la servitude. Libre et affranchi des protocoles rétrogrades.
Oui, l’un des Panthéons du patrimoine savant de notre Pays, le grand arbre, havre de paix sur lequel la grande famille YOKO, le Cabinet YOKO, la communauté universitaire, la province de Lomami, la République Démocratique pour ne citer que ça s’accrocher vient de s’écrouler,
J’ai donc voulu m’exprimer comme lui, en suivant la voix que tracent mes souvenirs étalés sur plus de 10 ans passés aux côtés du Grand Maître. Mais, pour ceux qui connaissent à peine Maître YOKO, m’entendre l’appeler « Grand Maître », une appellation qui résume toute une école, est une doctrine qui s’articule autour de la conviction qu’il est possible de vivre heureux sans noyer son prochain et d’accepter encaisser les coups sans se venger et de continuer toujours à ouvrir la main pour accorder en venir toujours à celui dont il subir les coups.
Ce grand personnage, rien ne peut égaler à la place qu’il a occupé dans ma vie depuis plus de dix ans, lorsque j’arrivais au Cabinet Yoko & Associés, mince et démuni sans savoir ce que j’allais devenir dans la vie, il m’avait ouvert la porte avec bienveillance, son esprit convivial m’a rapidement valu ce surnom de « prokat », que je porte encore aujourd’hui fièrement. Avec du recul, je réalise que s’il m’appelait ainsi, c’était pour me rapprocher de lui afin de m’ôter tout complexe dans ce timide contact que je m’apprêtais à établir avec la dure profession d’avocat.
Cette profession, je l’ai abordée là où il fallait que je l’amorce. Mon formateur éclairé a tout de suite compris qu’il fallait me former à l’écriture juridique. J’étais ainsi propulsé dans l’équipe de rédaction des actes législatifs et réglementaires appelés à accompagner la réforme de l’Administration publique sous l’égide de la CMRAP et du PRCG.
Comme à chaque fois, le travail s’accompagnait de provision suffisante pour me permettre d’affermir mes connaissances en légistique tout en ayant la garantie de vivre. Pour nombreux qui regardaient cette scène de loin, on ne pouvait pas appeler ça travail. A la limite, c’était un passe-temps, une sorte de stage prolongé, un chômage déguisé. A l’arrivée, il n’en a jamais été le cas. Il faut connaître notre profession. Il faut la tâter, l’appréhender pour se vider de toutes les appréhensions et en avoir la bonne compréhension. A mes yeux, nul, mieux que Maître Yoko n’a eu la mesure de ce qu’est le ministère de l’avocat. Devenu ministre et ambassadeur, il n’a pas envié la prestigieuse appellation d’Excellence. Devenu Député, il n’a pas adopté la belle appellation d’Honorable. Il a signé tous ses documents officiels comme « Maître Yoko », soulignant à l’encre indélébile que la profession d’avocat valait bien tout l’or du monde. Aucune promotion d’étudiants n’est passée entre ses mains sans l’entendre encenser notre profession, dont il vantait la noblesse. On en trouve peu de ses étudiants qui soient devenus avocats sans devoir leur passion pour l’art de plaider au désir de ressembler à leur professeur de Droit diplomatique ou de Déontologie des fonctionnaires internationaux.
En dehors de l’université, Maître Yoko a su transmettre la même envie. En le regardant parler, en le voyant manger, en le suivant à la télévision, on ne pouvait s’empêcher d’entendre dans sa voix cet appel à l’imitation qui, sans tendre au mimétisme, forge un certain caractère intrinsèque qui détermine notre gestuelle, notre argumentaire, notre style de vivre. Chacun de nous au Cabinet sait quel geste il a hérité de notre patriarche : est-ce cette agitation de la main droite en forme circulaire à la hauteur du visage, est-ce cet allongement des jambes en repliant et rejoignant les deux mains sur de ventre, etc. ? Chaque membre de notre Cabinet a toujours trouvé en ces petits détails le secret de cette aura persuasive qui ont toujours caractérisé notre formateur. Dès lors, il y a parmi autant de petits Yoko qu’il existe de membres de notre Cabinet.
En parlant de Maître Yoko, nous, membres de son Cabinet, avons donc une identité et une référence. En nombre et ensemble, nous constituons une force que notre formateur nous a toujours demandé de capitaliser. Notre force, nous la tirons de cette capacité mobilisatrice en faveur des bonnes causes et des activités culturelles et sociales de notre corps. Dans le voisinage de notre Cabinet, les personnes avisées de la magnanimité de notre Grand Maître ont compris que nous avons tous une main partageuse. Ce cœur qui prolonge l’intelligence de plaideur, nous la devons à Maître Yoko.
Mais, aujourd’hui, Maître Yoko est couché inerte, dans cet ensemblage de bois, dans l’état qu’il détestait plus que tout autre, quand il traitait de dormeur celui de qui il n’obtenait jamais aucun résultat. Le regard baissé, nous avons tous pleuré et pleurons encore. Personne ne peut d’ailleurs dire combien de temps lui prendra ce deuil. Pour tout dire, ce n’est pas demain, après le bain de consolation que nos cœurs seront consolés. Notre être est touché pour toujours. Je sais que personne d’entre nous ne sera le même après cette expérience. Il ne sera pas facile de se retrouver dans une situation de laquelle on se sortait habituellement par le concours bienveillant de notre Grand Maître et réaliser qu’il n’est plus là pour jouer au décanteur des nœuds inextricables. Dès lors, nos pleurs ont un sens et expriment la perte que nous avons enregistrée ce 30 septembre 2023, quand notre héros refermait ses paupières pour l’éternité.
Mais, en définitive, ces yeux qui se sont fermés, n’ont fermé aucune porte de l’espoir. Ils n’ont gâché aucune de nos chances de nous battre et, plus que tout, de nous aimer comme nous a aimés notre Maître, sans discrimination.
A nous, avocats du Cabinet Yoko & Associés, nous nous devons de perpétuer notre solidarité, comme notre Grand Maitre nous l’a toujours enseigné.
Aux membres de la famille, l’appel sera celui de la cohésion. Papa Yoko a été le résolveur des conflits. Oserez-vous permettre aux tiers d’affirmer qu’il a vécu en ôtant la poutre des yeux des autres, sans se soucier de celle qui traumatisait sa propre rétine ? Veillez-vous aimer. Moi, je sais qu’il n’a pas pu aimer ses collaborateurs avant d’aimer sa progéniture.
Nous, fidèles de l’école de Maître Jean Placide YOKO YAKEMBE, vous disons et vous garantissons d’une chose : vous aurez toujours auprès de nous un conseil, une suggestion, une recommandation qui, si vous l’appliquez à bon escient, de bonne foi et sans arrière-pensée, produira la perpétuation de l’esprit bienveillant de Maître Yoko qui, dans les hauteurs du ciel et des cieux, appréciera chacune de vos actions qui tendra vers l’expression de l’amour et de la tolérance qu’il a tant prêchés par la parole et par les actions. Pensons bien que cette multitude d’enfants de tous âges qui, sans être fils ni de Patrice, ni d’Isabelle, ni de Guélor, ni de Placide, ni de Thérèse, ni de Rodrigue, crient « Papy ! » pour désigner Yoko.
Persuadons-nous que si nous accordons à ces enfants, parfois sans parents ni tuteurs, une chance de croître contre vents et marrées, nous aurons fait exactement ce qu’aurait souhaité notre père et visionnaire, dont la longévité, globalement appréciée et enviée reste due à cette magnanimité et cette générosité sans nulle autre pareille.
Moi, je vous aime, vous vivants, autant que j’ai aimé et aime l’immortel Placide. Que personne n’éteigne cette belle flamme d’amour, qu’il a pris soins d’inscrire au fronton de sa propre demeure, où on peut lire : « Dans le mariage, on s’endort avec le pardon et on se réveille avec le dialogue ».
Ce qu’il a dit du mariage, je le dis de la vie : Aimons-nous vivants, dialoguons et pardonnons-nous.
Telle est, d’ailleurs, sa chanson de tous les jours.
Vive Maître Yoko,
Vive la famille.
Vive le Cabinet.
Je vous remercie.
Me Vianney Minda
Avocat du Cabinet Yoko & Associés