(Par le Prof. Patience Kabamba)
*Le MDW d’aujourd’hui examine les élections en Afrique en général et en RDC, en particulier. Au Congo, la campagne électorale est en cours. Une occasion de réfléchir à la signification que nous accordons au pouvoir dans notre pays. Ainsi, le moment est propice à ce type de réflexion car la propagande électorale qui a commencé aura pour conséquence l’élection de plusieurs candidats. Ainsi, ils seront au pouvoir pendant environ cinq ans. Cependant, c’est quoi ce pouvoir ? Le but de ce MDW est d’offrir une formation théorique sur le pouvoir, en particulier sur le pouvoir au Congo.
La plupart de mes étudiants américains citent le Soudan ou la Somalie lorsqu’on leur demande de nommer le conflit qui a coûté le plus de vies en Afrique au cours de la dernière décennie. Ils sont surpris de voir que le conflit au Congo a tué plus de 4 millions de personnes (IRC 2008), alors que le conflit au Soudan a tué au moins 400 000 personnes (selon l’ONU). Les étudiants africains modernes sont souvent surpris que les médias n’aient pas beaucoup de choses à dire sur le conflit de l’Est du Congo. Certains académiques pensent que la raison pour laquelle les médias ne parlent presque pas du conflit en RDC est que deux des principaux protagonistes, le Rwanda et l’Ouganda, sont des alliés des États-Unis.
Les médias occidentaux, qui présentent le président rwandais Paul Kagame comme un nouveau Moïse, seraient embarrassés de l’accuser du meurtre de nombreux Congolais.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont opposés à toutes les tentatives visant à attribuer à Kagame et Museveni la responsabilité du conflit au Congo. Mais cette argumentation ne fonctionne plus vraiment car un certain nombre d’universitaires ont récemment commencé à critiquer la gestion du pouvoir par Kagame au Rwanda. La vraie raison du silence relatif des médias sur le principal conflit africain actuel, qui a fait le plus de victimes de tous les conflits depuis la Seconde Guerre mondiale, est qu’il dépasse largement les catégories que nous utilisons habituellement pour définir ces conflits. Il n’y a pas de bons et de méchants facilement identifiables au Congo, et il n’y a pas d’armées régulières combattant des belligérants en civil. Il ne fonctionne pas avec nos catégories habituelles.
Cela explique en partie pourquoi les journalistes, en particulier les étrangers, qui sont habitués à reporter les conflits selon une logique binaire, ignorent celui qui implique une armée gouvernementale, une douzaine de milices rebelles congolaises, une douzaine de groupes rebelles étrangers et des casques bleus de l’ONU. La guerre à l’Est du Congo met à mal les catégories normales de notre compréhension.
Deborah Bryceson (2011) a décrit le pouvoir en Afrique comme « une pensée essentialiste culturelle qui identifie le pouvoir africain avec le patrimonialisme, l’informalité, la déviance et, parfois, la criminalité ou avec le néo-patrimonialisme, l’ombre, l’échec, l’effondrement ». Ce type d’analyse, comme Bryceson l’observe avec justesse, fait référence aux répertoires, registres et rationalités culturels qui véhiculent la notion d’une culture africaine distincte du pouvoir par opposition aux normes universelles (occidentales) de pratique bureaucratique et juridique. En effet, ils pensent que les formes d’État occidentales sont la norme universelle qui devrait s’appliquer à l’échelle mondiale. Pour avoir le sens d’un État aux yeux des Occidentaux, le Congo doit absolument organiser les élections. Même si cela lui coûte cher. Pour maintenir un système étatique occidental, nous étranglons nos économies.
Néanmoins, il est important de bien comprendre ce que je veux dire. Plus que jamais, les Congolais doivent prendre des décisions concernant leurs dirigeants. Ma suggestion est que les élections ne devraient être organisées qu’au bout d’un second mandat si elles se déroulaient dans la transparence. Malheureusement, nos élections se passent dans une telle opacité qu’il est nécessaire de tenter tous les cinq ans l’opportunité d’avoir des élections libres et transparentes dont le vainqueur est déclaré par l’institution organisatrice du scrutin. Il est possible que cela semble être du truisme. Il n’y a rien. Le gagnant n’est pas toujours annoncé par le président de la commission électorale nationale.
Cependant, la question demeure pertinente. Pourquoi gaspiller tant d’argent pour organiser des élections alors que le pays est presque en ruines avec l’insécurité alimentaire à l’Ouest et l’insécurité physique à l’Est ? Les réseaux routiers, d’électricité, d’eau et d’eaux usées sont saturés au centre et dans la capitale et nécessitent beaucoup de moyens pour les remettre en état de fonctionnement. Pourquoi ne pas consacrer cet argent à la construction de nouvelles cités urbaines pour désengorger Kinshasa où la vie devient invivable plutôt que d’acheter des machines à voter qui sont extrêmement chères et nécessitent des moyens aériens colossaux pour les déplacer dans tous les bureaux de vote ?
Selon Spinoza, il existe deux significations du mot pouvoir. Il peut être synonyme d’ordre, de discipline ou d’organisation étatique. Potestas signifie pouvoir organisationnel, ordre étatique et discipline. Aujourd’hui, tous ceux qui font de la propagande recherchent le pouvoir de l’ordre de potestas. Le pouvoir comme potentia, ou capacité de production, est l’autre interprétation du pouvoir, qui est ontologiquement supérieure. C’est le pouvoir qui permet aux gens de donner le meilleur d’eux-mêmes. Selon Spinoza, le potentia est plus important que le potestas. Le but du pouvoir comme ordre et discipline est de permettre à chacun qui lui est soumis d’attendre son potentia, la possibilité la plus reculée qui produit la meilleure version de la personne. En d’autres termes, pour donner le pouvoir potestas à ceux qui sollicitent notre suffrage, nous devons être sûrs qu’ils ou elles l’utiliseront pour nous aider à atteindre notre potentia, la meilleure version de nous-mêmes.