(Par Eric Kamba, Analyste politique, Geo-strategist, Coordinateur de CADA)
Après avoir opposé aux portes de Kanyabayonga une résistance farouche pendant un mois aux troupes rwandaises et leurs supplétifs du M23, les FARDC ont fini par décrocher.
Cette localité stratégique est ainsi passée aux mains des assaillants qui progresseraient vers Lubero, une agglomération de plus d’un million d’habitants.
Cette bataille perdue la veille du 64ème anniversaire de l’indépendance du pays a provoqué une onde de choc dans la population.
Choc difficile à contenir au point que les jeunes de Lubero ont fait la patrouille des hôtels de la place le week-end dernier afin d’en finir avec les officiers qui auraient donné passage aux forces ennemies.
Ceci dans la mesure où la cité capturée est une porte ouverte vers le grand Nord du Nord-Kivu (Lubero, Beni et Butembo), une zone apparemment sous influence de Kampala et infectée par le groupe rebelle et djihadiste ougandais, les ADF, responsables des tueries récurrentes des paisibles populations, dont plus de 150 personnes tout récemment, et beaucoup d’autres forfaits.
Aussi, cet espace pourrait être un terreau pour les forces rwandaises qui avaient bénéficié entre mars et juin 2022 de la complicité de l’Ouganda pour capturer la cité de Bunagana, non frontalière du Rwanda.
A n’en point douter, celles-ci entendent désormais mettre le cap sur l’Ituri et la Tshopo en passant par les Haut et Bas-Uélé.
Bref, la perte de Kanyabayonga renvoie à la poursuite, sans atermoiement, de la réforme de l’armée, piégée au départ par le mixage et le brassage, sur fond, d’une part, d’un commandement qui a montré ses limites et d’une éventuelle disharmonie entre le Ministère de la Défense, l’Etat-major général des FARDC et la Maison Militaire du président de la République et, d’autre part, du manque de définition claire d’une perspective géopolitique par le gouvernement.
La nouvelle de la chute de la cité de Kanyabayonga le vendredi 28 juin dernier est tombée comme un couperet.
Un froid glacial avait traversé le pays avant que le président de la République Félix Tshisekedi ne donne, un jour après, de la voix.
D’abord au travers du Conseil supérieur de la défense où Il a, avec les épaules multi étoilées et certains ministres, passé en revue cette conjoncture aux fins de trouver voies et moyens pour contenir la situation qui en rajoute à la crise humanitaire déjà innommable et sape le moral des populations, pourquoi pas des militaires aux fronts. Ensuite dans son discours à la nation à l’occasion du 64ème anniversaire de l’indépendance du pays, discours dans lequel il en a appelé à une réponse collective, courageuse et déterminée de la part des Congolais qui font face à un défi sécuritaire complexe leur imposé injustement.
Et de souligner que ce qui se passe à Kanyabayonga, à Kayina, dans les villages du Sud de Lubero, ainsi que dans les territoires de Rutshuru, de Nyiragongo et de Masisi constitue une violation flagrante contre la souveraineté nationale et la paix du peuple.
Exprimant sa solidarité à l’endroit des populations victimes des affres de la guerre, il a rassuré de sa détermination inébranlable à défendre l’ensemble du territoire national, à rétablir la paix et à triompher, avec l’ensemble du peuple, de cette agression injustifiée.
En attendant, le choc est évident. Il résonne encore dans les tympans de beaucoup de Congolais. Il est d’autant grand en ce qu’après avoir opposé aux portes de Kanyabayonga une résistance farouche aux RDF et leurs supplétifs du M23, les FARDC ont fini par décrocher, laissant les assaillants s’emparer de son contrôle.
Ces derniers ne font pas du sur place. Après Kanyabayonga, ils ont conquis deux importantes agglomérations du Sud de Lubero : Kayina et Kirumba.
Ce choc est difficile à digérer. Dans la mesure où cette débâcle est survenue la veille du 64ème anniversaire de l’indépendance. Une remise en cause de tout un symbole.
Inconsolables et dépités, les jeunes de Lubero, dont la ville est désormais dans le ligne de mire, sont sortis de leurs gonds. Ils ont fait la patrouille des hôtels de la place pour en terminer avec les officiers qui ont décroché aux fronts. Il faut formuler l’espoir de les voir revenir, entre-temps, aux bons sentiments, afin de participer aux efforts de protection de leur patelin et de se montrer résilients.
En effet, la cité de Kabanyayonga est une porte ouverte vers le grand Nord de la province du Nord-Kivu (Lubero, Beni et Butembo) qui est une zone apparemment d’influence de Kampala, infectée par le groupe rebelle et djihadiste ougandais, les ADF, responsables de massacres des populations, dont plus de 150 personnes tout récemment, et beaucoup d’autres forfaits.
Aussi, cet espace pourrait être un terreau pour les RDF qui avaient bénéficié entre mars et juin 2022 de la complicité des UPDF (Forces de la défense ougandaise) pour capturer la cité de Bunagana, non frontalière du Rwanda, et s’ébranler par la suite dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi.
Et à n’en point douter, elles ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. Elles rêvent de mettre le cap sur l’Ituri, où elles avaient entretenu et amplifié il y a deux décennies le conflit entre Hemas et Lendus, et la Tshopo en passant par les Haut et Bas-Uélé. Déjà en prélude, deux groupes Mai-Mai, l’un supposé être pro gouvernemental et l’autre pro M23, se sont affrontés il y a peu à Bafwasende, à 120 km de Kisangani.
Poursuivre la réforme de l’armée
La perte de Kanyabayonga renvoie à la poursuite, sans atermoiement, de la réforme de l’armée, bien que celle-ci ait été piégée au départ par le mixage et le brassage. Elle doit s’inscrire dans celle amorcée avec les services de sécurité après le coup d’Etat manqué de Christian Malanda, dont les vrais commanditaires sont tapis dans l’ombre.
Brassées et mixées par vagues successives, note Boniface Musavuli, les FARDC ne sont pas encore une armée réellement nationale, mais plutôt un amalgame des forces militaires d’origines diverses, y compris des forces militaires ennemies, poursuivant, sous l’uniforme de l’«armée nationale», leurs propres objectifs stratégiques.
Voilà qui empêche d’avoir des unités homogènes et à même de défendre l’intégrité du territoire. Et d’aucuns ne s’en cachent pas pour crier à la forte infiltration de l’armée et des services de sécurité.
Certes, d’énormes efforts sont entrepris pour mettre les FARDC au diapason des armées modernes à même de faire face à toute menace d’où qu’elle vienne. Et la volonté politique s’avère manifeste à cet effet. Mais, il reste que les FARDC sont construites sur les cendres des anciennes FAZ (Forces Armées Zaïroises) héritées du maréchal Mobutu qui ont été démantelées en même temps que les autres services de sécurité par le régime rwandais, voire ougandais, à l’avènement de l’AFDL au pouvoir en 1997.
Un général rwandais fut même nommé chef d’état-major général de l’armée nationale. A n’en point douter, l’objectif poursuivi était de dégarnir la RDC sur le plan défense et sécurité et la mettre à la merci de ses voisins envahisseurs.
Journaliste et écrivain franco-camerounais, Charles Onana n’a pas tort de souligner dans son livre «Holocauste au Congo. L’omerta de la communauté internationale» que la première phase d’incursion rwandaise au Congo se déroulait au Rwanda même quand, lorsque fuyant la violence du nouveau régime rwandais, les réfugiés hutus, voire tutsi, ont commencé en avril, mai et juin 1994 à se déverser au Congo-Zaïre. Il y eut par la suite la guerre dite de libération sous couvert de l’AFDL avec comme point d’orgue l’installation de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir le 17 mai 1997. Et ainsi de suite.
Point de doute, le Rwanda avait préparé l’invasion de l’ancien Zaïre depuis trente ans. Avec une armée démantelée, puis rafistolée et à la merci des forces étrangères, celui-ci a connu par la suite un embargo pour achat d’armes et d’autres prestations militaires au profit de Kigali qui continue à jouir des soutiens, notamment militaires et diplomatiques. Néanmoins, quelques avancées sont enregistrées dans la mesure où cela fait trois ans que malgré, sa toute «puissance militaire», le Rwanda n’est pas parvenu à gagner toute la province du Nord-Kivu. Contrairement au passé, l’on n’enregistre plus des défections des unités entières en faveur des forces ennemies.
Même, si par ailleurs des éléments doubles existent encore, la défection des individus n’est plus systématique.
Cependant, bien qu’il soit difficile de réformer l’armée en moins de dix ans et pendant la guerre, il se fait que des efforts entrepris sont mis à l’épreuve par certaines pesanteurs.
Le commandement semble montrer des limites, du fait, entre autres, des mains moins aguerries dans la chaîne. Parfois, des officiers qui ont perdu des batailles sont renvoyés sur les mêmes théâtres des opérations quelque temps après. Pourtant, lorsque les FARDC avaient repris le poil de la bête, mettant en déroute les RDF au point de rouvrir certains axes routiers vitaux du Nord-Kivu, le dictateur rwandais n’avait pas hésité le moindre instant de révoquer en juin 2023 des centaines d’officiers et de résilier des contrats de service pour d’autres. Aussi, c’est comme si certaines pratiques, pour le moins non orthodoxes, sont tolérées.
Ce qui donne lieu à des pactoles que l’on se partage sans scrupule.
Par ailleurs, en dépit de l’existence de la loi de programmation militaire, l’impression est tel le Ministère de la Défense, l’état-major général des FARDC et la Maison militaire du chef de l’Etat se complaisent dans la disharmonie.
Ce qui ne contribue pas à l’unité dans l’action. Il est donc indiqué que l’inspection générale des FARDC monte en puissance à l’instar de l’IGF, surtout en ce qui concerne les allocations et autres dotations, pour dissuader les uns et les autres et frapper les inciviques et délinquants qui, par ces temps de guerre, ne sont pas moins traîtres à la nation.
De ce fait, le président de la République et chef de l’Etat se doit désormais de revêtir du manteau de véritable Commandant suprême des forces armées et mettre tout le monde au pas. Personne d’entre ses collaborateurs ne répondra de ce qui adviendra au pays et ses lieu et place. La situation est grave, mais désespérée.
Pour quelle perspective géopolitique ?
Etat-nain selon Frédéric Encel parce que très modeste en termes de superficie, de ressources naturelles lucratives et de démographie, le Rwanda se veut pourtant spartiate et pense compenser ses faiblesses structurelles par une politique fondée sur la survalorisation militaire. On voudrait même lui trouver sans y arriver des similitudes avec Israël, un Etat également nain et entouré des Etats arabes et islamiques dont certains lui sont farouchement hostiles et ne jurent que par sa disparition, ce qui le met dans une situation de menaces militaires constantes depuis sa création en 1948. Et pour se défendre dans un tel environnement austère, il a opté pour la force militaire couplée au high-tech qui lui a permis, avec l’aide accrue des Américains, de développer un important pôle industriel de recherche et de fabrication dans le secteur militaire.
Ce n’est pas le cas du Rwanda dans la région des Grands Lacs ou en Afrique Orientale. La RDC ne constitue nullement une menace pour le pays de mille collines, c’est plutôt les conflits ethno-politiques internes à celui-ci entre Tutsi et Hutus et à la base du génocide de 1994 qui ont déferlé sur elle, faisant, au bas mot, plus de 10 millions de morts et donnant lieu à une crise humanitaire indicible, avec notamment plus de 5 millions de déplacés internes.
Aucun autre pays de la région ne menace non plus le Rwanda que l’Union européenne et autres pays occidentaux qualifient curiuesement de miracle africain, lui gratifiant ainsi d’une diversification, à la limite virtuelle, avec la modernité comme moteur. Ceci au point de vouloir en faire une zone d’investissements pour des entrepreneurs high-tech et télécoms étrangers occidentaux, un ilot touristique haut de gamme et un hub des minerais dont son sous-sol ne regorge pas.
Les prétextes avancés par le Rwanda pour justifier sa présence militaire en RDC n’ont pas résisté au temps. Ils se sont révélés finalement spécieux et fallacieux. Les vrais mobiles sont connus : pillages systématiques des ressources du Congo et maintenir une influence politique sur sa partie orientale. Les différents rapports de l’ONU et d’ONG internationales ont fini par dévoiler le pot aux roses.
Des condamnations se multiplient, mais ne sont pas suivies des sanctions à l’instar de la Russie pour agression de l’Ukraine.
Bien au contraire, le Rwanda est traité aux petits oignons. Il représente, pour ses souteneurs, des intérêts à la fois stratégique, parce que considéré comme gendarme régional, et diplomatique, lorsqu’on dépêche à la demande d’Etats tiers des contingents de soldats réputés disciplinés et aguerris. Ainsi, des troupes rwandaises sont, par exemple, dépêchées au Mozambique, au Tchad, au Soudan et en Centrafrique. Pourquoi pas demain en Haïti ?
Trente ans c’est assez, trente ans ça suffit. Il importe donc que la RDC se choisisse une perspective géopolitique. Et celle réaliste serait la mieux indiquée dans les circonstances actuelles, car devant se focaliser sur la question des rapports de force entre les États. Dans cette optique, seul un équilibre de force pourrait garantir la paix et la stabilité.
Est-ce que ce n’est pas ce que le président Félix Tshisekedi a voulu dire dans son dernier message en conviant le peuple congolais à une réponse collective, courageuse et déterminée pour faire face au défi sécuritaire complexe leur imposé injustement ? Les Congolais sont-ils prêts à s’investir dans cette voie ? Les autorités, politiques et militaires, sont-elles prêtes à s’assumer ? A un moment donné de la vie, il faut savoir se décider si les voies empruntées jusque-là se sont révélées sans issue.
