(Par Gilles Mpembele, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri. Contact : gillesmpem@yahoo.fr)
Gilles Mpembele
*Peut-on, en République Démocratique du Congo, gagner une élection présidentielle lorsqu’on est une figure de la société civile, qu’on n’a pas un parti ou une plate-forme politique, et qu’on s’abstient de nouer des liens contre nature avec des forces politiques conventionnelles ? La réponse est affirmative, à condition que le candidat et son équipe soient en mesure de mettre sur pied une stratégie électorale innovante et non conformiste, et de s’appuyer sur une organisation électorale établie sur tout le territoire national. Ce défi est à relever en moins de trois mois. La tâche est immense, mais il ne s’agit point d’une mission impossible.
Dans le cas du Dr Mukwege, même si sa renommée, sa respectabilité, et son charisme l’ont précédé, cela ne devrait pas être une raison pour considérer la bataille gagnée d’avance, ni pour mésestimer la concurrence.
Le Dr Mukwege ne gagnera cette élection que s’il peut rencontrer l’électeur partout où il se trouve, élaborer un discours qui réponde à ses préoccupations fondamentales, et gagner son adhésion à un « Programme pour un Congo nouveau ». Cet article propose trois choix stratégiques qui permettront au Dr Mukwege de renforcer sa campagne électorale pour remporter l’élection en décembre prochain.
Stratégie #1 : établir une jonction avec les commissions « Justice et Paix »
Ceux qui déconseillaient le Dr Mukwege de se porter candidat maintenant et d’attendre le prochain cycle électoral en 2028 avançaient deux arguments principaux : l’absence d’une plateforme politique effective pour battre campagne et les suspicions d’un cycle électoral biaisé par le fait du pouvoir organisateur. Des solutions stratégiques adéquates existent pour répondre à ces deux arguments, mais cet article n’aborde que la problématique posée par le premier argument, celui de la constitution d’une organisation électorale robuste capable d’emmener le Dr Mukwege à la victoire.
Le réseau des commissions « Justice et Paix » des Eglises Catholique et Protestante, et peut-être de certains regroupements d’Eglises de réveil, est un géant politique qui s’ignore.
D’une part, l’institution ecclésiale et sa hiérarchie constituée d’évêques, de curés et de pasteurs, ne peuvent s’aligner sur une offre politique, quelle qu’elle soit, mais d’autre part, le leadership laïc et l’ensemble des laïcs engagés dans ces commissions peuvent élaborer des choix civiques dans un contexte de cohésion et de cohérence organisationnelles. Les commissions Justice et Paix n’ont même pas besoin d’embrasser formellement la candidature du Dr Mukwege, mais elles peuvent, après débat interne, exprimer leur adhésion au programme du Dr Mukwege pour un Congo nouveau, battre campagne pour ce programme, et soutenir les candidats alignés sur ce programme à tous les niveaux de la compétition électorale.
Même si la hiérarchie institutionnelle devrait éviter de s’immiscer dans ce processus, elle garderait malgré tout une autorité morale et spirituelle pour prévenir des débordements, des divisions et des passions mal maitrisées.
Les commissions Justice et Paix sont le lieu par excellence d’une expression authentique de la démocratie citoyenne.
C’est en leur sein, dans tous les diocèses et paroisses à travers le pays, que s’organisent chaque semaine des conférences-débats, des séminaires de formation, et des campagnes de sensibilisation pour l’éveil patriotique, la préservation de l’unité nationale, le développement socio-économique, et la consolidation des acquis démocratiques. Le réseau des commissions Justice et Paix est une force politique qui n’a pas encore pris conscience d’elle-même, et qui est cependant plus puissante que n’importe quel parti ou plateforme politique. Historiquement, l’émergence des courants démocrates-chrétiens en Occident, à la fin du 19ème siècle, a été avant tout l’initiative des chrétiens laïcs ― et non du clergé ―, désireux de mettre en œuvre la doctrine sociale de l’Eglise. Cette expérience démocratique historique est aussi possible en RDC.
La campagne électorale du Dr Mukwege devrait rechercher un accord citoyen et un pacte national de gestion avec le leadership laïc des commissions Justice et Paix au niveau de chaque diocèse sur la base d’un « Programme pour un Congo nouveau » dont une esquisse est présentée ici-bas.
Stratégie #2 : Un programme pour un Congo nouveau
Un partenariat stratégique avec le réseau des commissions Justice et Paix devrait assurer que les laïcs engagés dans ces commissions et leur leadership sont responsabilisés dans le plan d’exécution du programme du Dr Mukwege.
S’agissant de la guerre à l’est du pays, le programme devrait élaborer une nouvelle stratégie pour les FARDC, sans compter sur des forces étrangères.
Elle devrait aussi détailler comment les soldats qui se battent au front seraient motivés et récompensés. Un exemple est de mettre en place un programme gouvernemental pour octroyer des titres fonciers, de jouissance immédiate et perpétuelle, à tout soldat engagé au front, sur des terrains à lotir à travers tout le pays.
Dans le langage courant, ceci signifie que chaque soldat qui défend la patrie à l’est, deviendrait donc propriétaire d’une parcelle de terrain sur laquelle il pourrait construire, avec l’aide de l’Etat, sa maison ou son commerce.
Des mesures drastiques pour renforcer l’Etat devraient être détaillées. Elles consistent notamment à réduire le train de vie de l’Etat, à rationaliser la gestion de nos finances publiques et de nos ressources naturelles, et à éradiquer la corruption. Une décision importante pour y parvenir serait de garantir une gestion indépendante de nos finances et de nos ressources naturelles par des personnalités hors de portée de toute influence partisane ou tribale.
Le Programme pour un Congo nouveau devrait présenter un projet de réforme du barème salarial de l’Etat dans son entièreté. L’objectif serait de réduire les écarts, de valoriser les bas salaires et de maintenir un ratio raisonnable entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus bas.
Le salaire et les avantages du Président de la République et de ses conseillers devraient être rendus publics, ainsi que ceux des membres du gouvernement, du parlement, et de l’ensemble de l’administration publique.
Un plan d’exécution des recommandations du rapport Mapping devrait être présenté, ainsi que la mise en œuvre d’une justice transitionnelle pour rendre justice de tous les crimes commis à l’est du pays.
Un mécanisme basé sur la compétence universelle devrait aussi être décrit, qui permettrait d’utiliser des juridictions étrangères pour engager des poursuites judiciaires et juger ceux qui ont perpétré des crimes économiques importants et qui échappent à la justice congolaise, ou qui restent impunis, en raison de leur stature politique, économique, ou financière.
Sur le plan du développement, un programme de redressement économique et social devrait inclure des aspects qui permettraient de renforcer les capacités des Eglises Catholique, Protestante et de réveil par l’établissement des « intendances générales » dans chaque diocèse ainsi que des centres de développement intégral basés sur le modèle du CDI-Bwamanda.
Stratégie #3 : Assurer une mobilisation permanente de l’électorat
Pour assurer une mobilisation permanente de l’électorat, dès maintenant, la campagne électorale du Dr Mukwege pourrait adopter la méthode des marches silencieuses décrite, ci-bas. L’inconvénient des manifestations populaires, de soutien ou de revendication, est qu’elles sont faciles à interdire et à réprimer. Pour cette raison, elles ont souvent du mal à attirer une forte participation du public. Le risque de violence, qu’elle soit du fait des forces de l’ordre ou d’éléments incontrôlés dans la foule, sont un facteur majeur de dissuasion pour les sympathisants de la cause pour laquelle la marche est organisée. Les récents évènements de Goma montrent à suffisance que les manifestations populaires, même pacifiques, peuvent conduire à des tragédies fort regrettables.
La méthode proposée ici est celle des marches silencieuses, qui consistent à greffer un message politique aux masses humaines à travers le pays, qui empruntent les artères et voies publiques tous les jours, pour aller à leurs occupations quotidiennes et en revenir. Par exemple, pour obtenir un audit international indépendant du fichier électoral, les parties prenantes au processus électoral peuvent demander à tous ceux qui soutiennent cette cause de porter un bandeau blanc ― ou de toute autre couleur ― sur la tête lorsqu’ils sortent de chez eux le matin et empruntent les voies publiques, et lorsqu’ils retournent chez eux après une journée de dur labeur.
Le spectacle de millions et de millions de gens avec un bandeau sur la tête, dans toutes les rues, avenues et boulevards de la ville de Kinshasa et d’autres villes et villages du pays pour soutenir une cause ou revendiquer un droit est d’une force redoutable qu’aucun régime ne pourrait longtemps ignorer.
Les marches silencieuses ont un grand avantage parce qu’elles ne nécessitent pas une grande logistique, ni une préparation élaborée. Le mot d’ordre devrait consister en un message simple et clair auquel la population peut facilement adhérer. L’exemple décrit ci-haut, un audit international indépendant du fichier électoral, peut être facilement compris par la population alors qu’un appel à manifester pour des motifs vagues aura du mal à susciter l’enthousiasme des masses.
En conclusion, une victoire du Dr Mukwege à la présidentielle 2023 est possible. Cet article a présenté des éléments d’un plan stratégique qui permettrait au Prix Nobel de la Paix d’établir un partenariat électoral avec les commissions Justice et Paix, d’élaborer un « Programme pour un Congo nouveau » capable de gagner l’adhésion des masses, et d’exécuter une stratégie de campagne basée sur une mobilisation permanente de l’électorat.
A bien d’égards, cette élection est historique. La question est de savoir si elle va consacrer une rupture fondamentale dans le cours de l’histoire de notre pays, ou si au contraire elle va consacrer la perpétuation des anti-valeurs qui gangrènent l’Etat et la société congolaise depuis son indépendance. La décision appartient au peuple.