(Une chronique de Christian Gambotti)
Agrégé de l’Université – Président du Think Tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org.
Cette contribution n’est ni un cours d’Histoire, ni l’affirmation que la RDC n’existe pas. En revanche, la RDC, placée sous la tutelle personnelle du roi des Belges Léopold II entre 1885 et 1908, représente l’exemple même du pays africain dont l’existence est niée. La Belgique, qui cherche à s’imposer comme puissance coloniale, et Mobutu, sous une forme différente, semblent vouloir poursuivre l’œuvre de Léopold II. Sous les Kabila, les pratiques politiques ne changent pas et la « politique business » continue de prospérer. Est-il juste de dire que la RDC moderne voit le jour le 6 décembre 2020 ?
La RDC, ce géant d’Afrique, qui
tarde à s’affirmer dans un environnement instable, a-t-il vraiment existé dans l’Afrique du vieux monde ?
- Un pays qui n’existe pas vraiment dans l’Afrique du vieux monde
Dire d’un pays comme la RDC qu’il n’existe pas vraiment, alors que qu’il s’agit du deuxième pays le plus vaste d’Afrique, le troisième pays le plus peuplé du continent, le pays francophone le plus peuplé, peut sembler paradoxal. Si l’on ajoute un sous-sol qui compte parmi les plus riches au monde (une cinquantaine de minerais dont une douzaine sont exploités : diamant, or, argent, cuivre, étain, coltan, bauxite, fer, manganèse, cobalt, etc.), on ne comprend plus. Or, je maintiens que, de 1885 à 2019, la RDC n’existe pas vraiment dans l’Afrique du vieux monde.
Un pays qui n’existe pas vraiment
Trois raisons me conduisent à dire que, jusqu’à une date récente, la RDC est un pays qui n’existe pas vraiment.
–Première raison : L’Etat Indépendant du Congo est un domaine privé qui appartient à un individu, le roi Léopold II qui se l’est approprié en 1885 et qui en exploite les richesses naturelles à son seul profit. Les mains coupées du Congo sont restées le symbole de la violence exercée par Léopold II au Congo. En 1908, Léopold II cède à la Belgique l’Etat Indépendant du Congo, qui devient le Congo belge. La Belgique continue l’œuvre d’exploitation colonialiste de Léopold II.
–Deuxième raison : au lendemain de l’indépendance avec une instabilité politique chronique, des coups d’Etat, des guerres oubliées, la balkanisation, la corruption, la spoliation des richesses du pays par des puissances étrangères à travers des contrats léonins (2008, le « contrat minier du siècle » signé par l’ex-président Kabila avec la Chine se traduit par un important déséquilibre financier au détriment de la RDC).
–Troisième raison : le pillage actuel des riches provinces minières de l’Est de la RDC par des pays voisins (Rwanda, Ouganda, Burundi) et des groupes armés (M23), sous l’indifférence de la communauté internationale.
Les Congolais, un peuple qui n’existe pas
La mission « civilisatrice », « humaniste » et « philanthropique » est en réalité un projet purement économique qui se traduira par une exploitation coloniale qui aura décimé un tiers de la population congolaise de l’époque. L’exploitation brutale des populations se fait sous le joug des forces coloniales du roi qui multiplient les atrocités (1). Lors de l’exposition universelle de Bruxelles, en 1897, pour convaincre la population belge et les investisseurs de son projet colonial au Congo, Léopold II, qui a créé une « Section coloniale », exhibe, à Tervuren, 267 Congolais emmenés de force en Belgique, dans un véritable « zoo humain ». En 1908, Léopold II rétrocède la RDC à la Belgique. Le peuple congolais ne connaîtra pas un sort meilleur sous la colonisation du Royaume de Belgique, ni sous les 30 ans du règne de Mobutu, après l’assassinat de Patrice Lumumba (2), ni sous les 23 ans de pouvoir des Kabila.
Une indépendance qui n’existe pas avec l’ère de balkanisation
En 1960, au lendemain de son indépendance, le pays va connaître une longue période d’instabilité politique. Dès 1960, le Premier ministre, Patrice-Emery Lumumba, dénonce un « plan de balkanisation de la RDC ». La province du Katanga, quelques mois après l’indépendance, fera sécession, immédiatement suivie par le Kasaï. On sait aujourd’hui que la sécession katangaise était soutenue par la Belgique et les Etats-Unis. En 1965, un coup d’Etat permet à Mobutu, de s’emparer du pouvoir : il instaure une dictature sanglante et débaptise le pays qui devient, en 1971, le Zaïre. Le 17 mai 1997, nouveau coup d’Etat installe Laurent Désiré Kabila au pouvoir. Son fils, Joseph Kabila, lui succède en 2003 et gouverne le pays jusqu’en 2019. Les trois cycles électoraux organisés sous le règne de Joseph Kabila seront fortement contestés par l’opposition politique, les forces vives nationales et les confessions religieuses. La question de la légitimité de Joseph Kabila est d’autant plus posée que les troubles à l’Est du pays vont s’aggraver dès 2012. S’il ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle pour un troisième mandat, – ce que la constitution congolaise interdit -, Joseph Kabila entend rester le maître du jeu politique. Mais, les calculs des hommes politiques se heurtent aux ruses de l’Histoire qui offre toujours des circonstances nouvelles. La RDC de Mobutu et des Kabila a certes existé, mais elle a existé de façon baroque, sans être vraiment elle-même.
- L’alternance politique pacifique : une page nouvelle qui s’écrit
En 2019, avec l’élection à la présidence de la République de Félix Tshisekedi, la RDC connaît, pour la première fois, une alternance politique pacifique. C’est une page nouvelle de la RDC qui s’écrit. Mais, être élu, ce n’est rien. Il faut ensuite gouverner en surmontant ytois obstacles : 1) La faiblesse de l’Etat et des institutions. 2) Un champ politique congolais qui, depuis l’indépendance, est surdéterminé par les rebellions, les guerres civiles, les agressions armées et les coups d’Etat. Les chefs des partis politiques, qui fédèrent un électorat important sur un territoire donné, n’hésitent pas à se transformer en chefs de guerre. La question des alliances électorales et des coalitions gouvernementales est alors fortement impactée par cette militarisation du leadership politique, ce qui empêche toute rationalisation du parlementarisme. 3) La corruption : phénomène endémique en RDC, car les outils de contrôle et de suivi budgétaire ne fonctionnent pas, la corruption contribue à aggraver la faiblesse de l’Etat qui se retrouve dans l’incapacité de respecter les plans d’engagement budgétaire qu’il a lui-même fixés. En 2022, Le président Tshisekedi a d’ailleurs placé la lutte contre la corruption comme une des priorités de son mandat sans obtenir, jusqu’à présent, les résultats attendus.
Première présidence de Félix Tshisekedi (2019-2023)
- 2019-2020 : un Président sous tutelle
Félix Tshisekedi remporte l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 et le 10 janvier 2019, il est officiellement proclamé président de la République Démocratique du Congo. Sa victoire n’est qu’une demi-victoire. Elle s’explique par une alliance de circonstance avec le parti de Joseph Kabila. Devenu sénateur à vie, Kabila entend diriger le pays, son parti détenant à l’assemblée nationale la majorité absolue avec 337sièges sur 500. Déjà majoritaires au parlement, sur un gouvernement de 65 membres, les partisans de l’ex président Joseph Kabila obtiennent 42 postes au sein du futur exécutif, contre 23 au président Félix Tshisekedi et à ses alliés. Une situation inédite. Avec cet accord de partage, la RDC, en 2019, a encore un pied dans le vieux monde, celui de l’Afrique de « papa » (3).
- Décembre 2020 : rupture avec le clan Kabila
Sous-estimé par le clan Kabila, Félix Tshisekedi, le 6 décembre 2020, met fin au partage du pouvoir avec Joseph Kabila. Il a su renverser les alliances au sein de l’assemblée nationale et écarter les kabilistes du gouvernement. La feuille de route du nouvel exécutif est la suivante : « lutter contre la corruption et la misère qui touche les deux tiers de la population et ramener la paix dans l’est du pays, ensanglanté par les violences des groupes armés ». Le 6 décembre 2020, la RDC moderne a 3 ans et 9 mois. Il reste à tenir la promesse du changement.
- Une bonne nouvelle : l’appui des bailleurs de fonds
En 2021, portée par la hausse du prix des métaux, l’économie congolaise connaît une véritable embellie. En juin 2022, s’appuyant sur «des résultats meilleurs que prévus » et supérieurs aux attentes, le FMI déclare que la situation fiscale de la RDC est satisfaisante. Le FMI décaisse alors 203 millions de dollars «pour répondre aux besoins de financement de la balance de paiement». En un an, le FM aura transféré à Kinshasa 653 millions de dollars.
Deuxième présidence de Félix Tshisekedi
Réélu en décembre 2023 pour un second mandat, Félix Tshisekedi peut désormais se consacrer aux 6 objectifs prioritaires dont dépend l’avenir de la RDC : pacifier la classe politique, pacifier le pays, relancer l’économie, accélérer les chantiers routiers, lutter contre la pauvreté, lutter contre la corruption.
–Pacifier la classe politique – Un objectif plus difficile qu’il n’y paraît, car il faut pacifier la classe politique dans son ensemble et pacifier son propre camp. Le pays est en attente, depuis l’indépendance, de cet apaisement politique. Dans son propre camp, celui de l’Union sacrée de la nation, la coalition politique qui l’a soutenu pour un second mandat, les tensions internes et les rivalités, ont retardé la nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement. Le gouvernement et les deux chambres (assemblée nationale et sénat) sont aujourd’hui en ordre de marche. On retrouve à des postes-clefs les principaux soutiens de Félix Tshisekedi : Vital Kamhere et son parti, l’UNC, Jean-Pierre Bemba et son mouvement, le MLC. L’élection du discret Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge à la présidence du sénat est un gage de stabilité. Or, cette élection a été reportée plusieurs fois par manque de consensus au sein de l’Union sacrée, la majorité au pouvoir. La pacification des familles politiques au pouvoir est un préalable incontournable pour la réussite du second mandat de Félix Thsisekedi, ce qui suppose que chaque chef de parti renonce à son ancrage territorial et ethnique, voire tribal.
–Pacifier le pays – Deux aspects : la sécurité intérieure et la sécurité aux frontières. La sécurité intérieure : l’insécurité atteint sur tout le territoire, notamment à Kinshasa, un niveau alarmant, alimentée par la faiblesse de l’Etat, la pauvreté, la corruption et les conflits fonciers. La sécurité aux frontières : en 2024, 64 ans après l’indépendance, la question de la balkanisation de la RDC se pose toujours dans un contexte qui n’est pas sans rappeler celui des guerres des Kivus, alors que la rébellion du M23 prend de l’ampleur. Le Rwanda et les voisins de la RDC veulent démembrer la RDC pour s’emparer des provinces de l’Est, véritable coffre-fort minier. Le pouvoir central doit réorganiser l’armée et être fort militairement pour s’opposer à ce démembrement.
–Relancer l’économie – L’économie est dominée par le secteur informel, qui représente 70 % du tissu économique, 90 % des revenus des ménages provenant des activités de l’informel. Malgré une croissance résiliente, un endettement public limité (21 % du PIB à la fin 2022) et la mobilisation des bailleurs de fonds multilatéraux (Banque mondiale – BAD) dont les déboursements viennent abonder les besoins de financement de l’économie, la situation économique continue de se dégrader à cause de la faiblesse des recettes de l’Etat et de leur vulnérabilité face aux fluctuations des prix des matières premières minières, L’économie de la RDC, en l’absence de diversification véritable, reste fortement dépendante du secteur minier exposé aux variations des cours internationaux des matières premières.
–Accélérer les chantiers routiers – Les infrastructures routières et les transports comptent parmi les piliers les plus importants du développement de l’Afrique. L’état des infrastructures routières est catastrophique, que ce soit dans l’ensemble du pays ou à Kinshasa. Désenclaver les territoires est une priorité. Le développement est tributaire des infrastructures de transports : routes, autoroutes, voies ferrées, transport aérien, transport fluvial. Deux ministres ont à jouer un rôle essentiel : le ministre d’Etat, ministre des Infrastructures et des Travaux publics, Alexis Gisaro, et le Vice-président, ministre des Transports, voies de communication et désenclavement, Jean-Pierre Bemba.
–Lutter contre la pauvreté – Félix Tshisekedi a promis de faire de la lutte contre la pauvreté « une grande cause nationale ». La RDC figure parmi les cinq nations les plus pauvres du monde. Deux chiffres : 16,5 % des populations en situation d’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne vivent en RDC ; en 2023, 75 % des Congolais disposaient de moins de 2,15 dollars par jour pour vivre.
–Lutter contre la corruption – Chantier majeur, la lutte contre la corruption, est une priorité absolue. En 2022, selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, la RDC occupait le 166è rang sur 180 pays. Dans le domaine de l’éducation, l’une des mesures-phares du président Félix Tshisekedi, la prise en charge, en 2020, par le Trésor public de la première année de gratuité, s’est traduite par des détournements massifs avec la création de 2 000 écoles fictives et le paiement des salaires de plusieurs centaines d’enseignants fictifs. Le ministre de l’Education de l’époque, Willy Bakonga, a reconnu que cette pratique pouvait exister. Les résultats d’une enquête lancée par le ministère devaient être validés par un audit de la Banque mondiale.
La promesse d’un changement peut-elle être tenue ?
Cette alternance politique va-t-elle permettre à la RDC d’être elle-même, de réconcilier les Congolais entre eux et de rendre le Congo aux Congolais ? Ce pays qui n’existait pas vraiment peut-il enfin exister et devenir un géant d’Afrique, souverain et prospère ? Peut-il sortir des griffes des grandes puissances, gérer de façon souveraine ses richesses naturelles, faire redescendre le produit de ces richesses jusqu’aux populations et sur l’ensemble du territoire national ? Les années 2019-2020 n’ont été qu’un brouillon avec le blocage institutionnel du pays. Les années 2020-2023, si elles montrent que Félix Tshisekedi est désormais en capacité de gouverner, le projet de société qu’il porte tarde à répondre aux attentes de la population congolaise et aux défis que le pays doit relever. Crise économique, crise sécuritaire, crise humanitaire, crise alimentaire, crise climatique, tous les voyants sont au rouge. Réélu pour un second mandat, Félix Tshisekedi doit désormais agir pour permettre à la RDC d’exister réellement et devenir un géant d’Afrique. Pour moi, c’est une évidence : la RDC possède tous les atouts pour devenir un géant d’Afrique.
Seules, la solidité de la coalition qui le soutient et une volonté politique sans faille permettront à Félix Tshidekedi de réaliser le rêve que portait son père : faire de la RDC une nation prospère et un pays idéal.
______________________
(1) Les mains coupées du Congo sont le symbole de la violence coloniale exercée sous l’égide de Leopold II. Lire Marc Wiltz, « Il pleut des mains sur le Congo – Léopold II ou le crime de masse occulté », Ed, Le Passeur, mai 2022. Entre 1885 et 1908, dix millions de Congolais auraient perdu la vie sous le joug de Léopold II, roi des Belges.
(2) Nommé Premier ministre, Patrice Lumumba se tourne vers l’URSS. Arrêté, il s’échappe, avant d’être arrêté à nouveau en décembre 1960, puis ; transféré le mois suivant à Élisabethville, au Katanga. Il sera exécuté le 17 janvier 1961 avec deux autres alliés politiques, en présence de politiciens katangais et de Belges.
(3) « L’Afrique de papa », livre du dessinateur Hyppolite, Editeur « Des Bulles dans l’Océan », 2010.
