(Par Omer Nsongo die Lema)
Pour leur première entrée au Gouvernement, Jacquemain Shabani et Constant Mutamba doivent se rappeler qu’ils appartiennent à un corps de métier qui leur exige d’abord le respect du Droit : ils sont des avocats. Avec leur double qualité, ils ne devraient pas trop exposer le Chef de l’État Félix Tshisekedi…
Suspecté d’être à la tête d’une organisation terroriste couvrant une agression rwandaise, un chef d’État honoraire en exil et sénateur à vie de son état quitte un jour son pays d’accueil (en Afrique australe) sans que la sécurité ne s’en aperçoive. Il rentre dans son pays d’origine (RDC) sans que la sécurité ne s’en aperçoive non plus. Même si ce retour s’effectue par le poste frontalier occupé par les terroristes et les agresseurs (respectons le narratif), c’est tout de même impossible qu’on ne le prouve ni par une image photo ni par une image vidéo. Deux journalistes vont découvrir trois jours plus tard le pot aux roses : c’est par un canot moteur qu’en provenance de Rubavu (ex-Gisenyi), Joseph Kabila est arrivé à Goma dans sa villa à Kinyogote avant de repartir par la même voie. Le canot, dont on n’a identifié ni l’immatriculation ni la marque, aurait mis deux minutes pour couvrir le trajet. Constat insolite : leurs relais se sont abstenus de médiatiser le «scoop».
Outillés dans leurs études (droit) et leur profession (avocats) pour résister à toute pression
Préoccupation secondaire : qu’en est-il de la coopération entre services de sécurité des pays avec lesquels la RDC est en relations diplomatiques ? Préoccupation première : si un éléphant comme Joseph Kabila peut traverser incognito le poste frontalier officiel de la Grande Corniche séparant la ville congolaise de Goma de la ville rwandaise de Rubavu, qu’en sera-t-il du renard qu’est le citoyen lambda ?
Certes, on peut prétexter de la discipline qui caractérise la sécurité rwandaise. Mais peut-on vraiment affirmer que dans cette sécurité-là, la RDC n’a pas la capacité par elle-même ou par la coopération entre services de s’offrir des taupes ?
C’est bon d’évoquer à loisir la thèse d’infiltration du dispositif sécuritaire congolais par les Rwandais ou par les Tutsis (selon le narratif consacré). Mais, par droit de réciprocité, la RDC doit aussi infiltrer le dispositif sécuritaire de tout pays membre de la CEEAC, de la SADC, de l’EAC ou de la CIRGL reconnu hostile au peuple congolais !
En attendant d’en savoir plus, reconnaissons que cette affaire de présence effective ou supposée de Joseph Kabila à Goma est embarrassante pour Kinshasa sur tous les plans. On n’a pas à s’en cacher.
En raison de sa sensibilité, il aurait fallu, avant toute réaction officielle, une réunion interinstitutionnelle, un conseil des ministres, un conseil supérieur de la défense ou un conseil supérieur de la magistrature, bref une concertation de niveau élevé. Après tout, Joseph Kabila a quand même été Président de la République ; il est jusque-là sénateur à vie. En plus, il est chef d’un parti politique ayant pignon sur rue. Il est aussi concerné par la Loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs des corps constitués. Cette loi, cependant, ne l’épargne pas des poursuites judiciaires pour des faits infractionnels commis hors mandat. Elle en fixe les conditions.
En laissant le VPM Jacquemain Shabani et le Minétat Constant Mutamba réagir comme ils l’ont fait, notamment en décidant de la suspension des activités du PPRD et des poursuites judiciaires à l’encontre de Joseph Kabila assortie de la saisie anticipée de ses biens privés, le Gouvernement lance un très mauvais signal aux partenaires nationaux et étrangers attachés à la notion de l’État de droit. Pire, il affecte les efforts jusque-là déployés dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires dans un pays à la recherche désespérée des investissements porteurs depuis une quarantaine d’années.
Soulignons ici que la rue est bonne pour animer et agiter, mais elle ne gouverne jamais. On en veut pour preuve les menaces proférées à l’endroit des Etats-Unis en janvier dernier devant l’ambassade de ce pays à Kinshasa. Deux mois après, c’est la même rue qui se convainc de la victoire militaire de la RDC du fait de la perspective de l’exploitation des minéraux stratégiques envisagée par l’Administration Trump !
Il y a là une leçon pour les deux Jeunes Turcs du Gouvernement d’apprendre à maîtriser leur tempérament. Même quand l’ordre peut venir d’en haut ou du haut d’en haut, ils sont outillés par leur formation académique (Droit) et leur profession (avocats) pour faire valoir la loi en tous lieux et en toutes circonstances. C’est en cela que Tshisekedi et Sumwina vont les trouver utiles dans l’accomplissement de leur mandat.
Se doter d’une petite équipe de contradicteurs
Cette affaire est une raison de plus pour «Balises» de revenir à la chronique intitulée «Félix Tshisekedi devrait se chercher des contradicteurs privés. De préférence ceux qui le connaissent bien et ceux qu’il connaît très bien» ». Publiée le 16 février 2024, elle conseille le Président de la République de se doter d’une petite équipe de confidents habilités par lui-même à le contredire en cas de nécessité.
Dans la cour de chacun de ses prédécesseurs depuis 1960, il se trouve des femmes et des hommes témoins oculaires des erreurs ayant conduit Joseph Kasa-Vubu, Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila dans des situations inextricables. Même autour d’Etienne Tshisekedi, il y en a eu.
Il est impératif de les avoir à ses côtés, de les consulter et surtout de savoir les écouter. Pour la plupart, ils se sentent en devoir de réparation. Ce conseil est valable aussi pour ses successeurs.
D’abord en humain, ensuite en acteur politique, enfin en animateur institutionnel, Félix Tshisekedi sait que certaines réactions sont de nature à susciter des crises qu’on peut pourtant éviter, pour peu qu’on ait le temps de se ressaisir. «La nuit porte conseil», dit-on ! Autrement, à l’instar des rues qui finissent par de grands fleuves avant de se déverser dans des océans, les petites erreurs normalisées peuvent devenir des bavures susceptibles, elles, de se transformer en crimes. Souvent, on ne s’en rend compte que lorsqu’il est trop tard, lorsque le mal qu’on se doit d’éviter est fait !
