(Par Christopher Burke, Conseiller principal à WMC Africa)
Le 27 juin 2025, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé un accord de paix historique au Département d’État américain à Washington D.C., salué par les diplomates comme un « tournant » dans l’un des conflits les plus longs et meurtriers d’Afrique. Cet accord suscite l’espoir de mettre fin à des décennies de violences qui ont tué des millions de personnes et déplacé des centaines de milliers d’autres dans les provinces riches en minerais de l’est du Congo.
La réalité est plus complexe. Au-delà des promesses de retrait des troupes et de retour des réfugiés, cet accord représente un marché géopolitique concernant l’avenir des vastes richesses minières de l’est du Congo, négocié dans une ère de politique étrangère américaine de plus en plus transactionnelle. Pour les décideurs congolais, ce moment exige une stratégie réfléchie — pour garantir la paix, certes, mais aussi pour préserver la souveraineté et veiller à ce que les richesses naturelles de la RDC profitent à son peuple dans un ordre mondial multipolaire émergent.
Un Accord aux Enjeux Majeurs
L’accord du 27 juin oblige les deux pays à renoncer à tout soutien aux groupes armés par procuration — Kinshasa pour la milice hutue rwandaise FDLR, Kigali pour les rebelles du M23 qui ont pris des territoires au Nord et au Sud-Kivu cette année. Le Rwanda s’est engagé à retirer ses soldats dans un délai de 90 jours, tandis que les deux parties mettront en place un Mécanisme conjoint de coordination sécuritaire regroupant des représentants militaires, du renseignement et diplomatiques, sous la supervision d’observateurs américains et qataris.
L’accord prévoit également le retour sûr et volontaire des réfugiés ainsi que l’accès humanitaire conformément au droit international. Il engage les deux gouvernements à lancer dans les 90 jours un « Cadre d’intégration économique régionale » s’appuyant sur des initiatives africaines telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), avec pour objectif explicite de « réduire les risques dans les chaînes d’approvisionnement minérales », bloquer les routes commerciales illicites et garantir que les deux pays bénéficient des réserves minières estimées à 24 000 milliards de dollars dans l’est du Congo — notamment le cobalt, le tantale, l’or, le cuivre et le lithium.
De telles ambitions sont absolument nécessaires. Depuis trop longtemps, la richesse minière du Congo finance des cycles de conflits et d’exploitation. Ces engagements signifient aussi que la RDC entre désormais dans un marché explicite avec les États-Unis et d’autres acteurs internationaux — un marché qui pourrait façonner son économie et sa souveraineté pendant des décennies.
Un Accord Transactionnel dans une Ère Transactionnelle
Il est essentiel à ce stade de ne pas idéaliser le rôle des partenaires étrangers. Les États-Unis ont négocié cette paix, mais leurs intérêts dans les minerais congolais n’ont jamais été aussi explicites. Le président Trump n’a pas mâché ses mots : « Nous obtenons beaucoup de droits miniers du Congo. » Le langage plus diplomatique du secrétaire d’État Marco Rubio sur le fait de « permettre aux gens d’avoir des rêves » ne masque pas la priorité réelle : sécuriser un accès stable et transparent aux minerais critiques nécessaires pour les véhicules électriques, les batteries et les technologies énergétiques propres.
Cet accord s’inscrit parfaitement dans le projet du Corridor de Lobito, d’une valeur de 3 milliards de dollars — une ligne ferroviaire soutenue par les États-Unis reliant la Zambie, la RDC et l’Angola au port atlantique de Lobito. Le corridor est conçu pour acheminer le cobalt et le lithium du Congo vers l’ouest, en les éloignant des routes dominées par la Chine vers l’océan Indien. Les entreprises américaines sont impatientes de verrouiller des chaînes d’approvisionnement qui excluent ou remplacent la Chine, laquelle a établi des racines profondes dans le secteur minier congolais.
Voilà le contexte de l’accord que Kinshasa vient de signer. La stratégie américaine est claire : offrir des garanties sécuritaires et des incitations économiques pour aligner les intérêts locaux sur ceux de Washington. Les dirigeants congolais doivent comprendre qu’il ne s’agit pas de charité ou de partenariat abstrait. C’est une transaction classique : des droits miniers et des infrastructures stratégiques en échange du maintien de la paix, d’une couverture diplomatique et d’une intégration économique limitée.
De l’Aide à la Géopolitique Stratégique
Le nouvel accord survient également dans un contexte de changement radical de l’assistance étrangère américaine. Plus tôt cette année, l’administration Trump a fermé les opérations de l’USAID dans le monde entier, annulant 83 % de ses programmes et plaçant le reste sous le contrôle du Département d’État. Une agence de 44 milliards de dollars connue pour l’aide humanitaire, le financement de la santé et le soutien au développement dans plus de 130 pays — y compris la RDC — a été démantelée et recentrée entièrement sur des projets cohérents avec les intérêts stratégiques américains à court terme.
Cette fermeture va bien au-delà d’une simple réforme bureaucratique. Elle marque la fin d’une ère de diplomatie d’aide américaine, remplacée par des accords axés sur les ressources, menés par des entreprises et des dispositifs sécuritaires ciblés de manière étroite. L’approche de Trump vis-à-vis de l’Afrique est ouvertement transactionnelle. À moins que la RDC et les autres pays du continent ne négocient avec le même réalisme, ils risquent de céder le contrôle de leurs ressources naturelles et de leurs richesses minières en échange d’une promesse de stabilité.
L’Approche Cohérente et Stratégique de la Chine
La Chine a établi des relations diplomatiques avec la RDC en novembre 1972. La politique de Pékin envers l’Afrique a toujours été cohérente, pragmatique et hautement stratégique. Alors que l’approche de Washington a oscillé entre un libéralisme axé sur l’aide et des accords durement transactionnels sous Trump, la Chine a investi régulièrement dans les infrastructures, les mines et le commerce, avec moins de conditions politiques.
Depuis 2013, l’Initiative la Ceinture et la Route de la Chine a investi plus de 1 180 milliards de dollars dans les infrastructures mondiales, offrant des financements à faible coût et construisant routes, ports et chemins de fer à travers l’Afrique. En RDC, les entreprises chinoises contrôlent d’importantes parts de production de cobalt et de cuivre, financent des fonderies et des routes et maintiennent des chaînes d’approvisionnement intégrées de la mine au marché.
Les accords chinois comportent bien sûr leurs propres risques — endettement, dégâts environnementaux et accusations de corruption. Mais personne ne doute de la stabilité ou de la clarté stratégique de la Chine. La Chine comme la Russie continuent de vendre des armes et d’entretenir des relations diplomatiques avec des acteurs des deux côtés du conflit Rwanda–RDC.
Les décideurs congolais doivent reconnaître qu’il n’existe pas de « partenaire » unique sur lequel compter. Ni la Chine ni les États-Unis ne sont entièrement altruistes. Tous deux cherchent un accès stable aux minerais congolais pour alimenter leurs propres industries. La RDC doit naviguer entre eux avec sophistication, obtenir de meilleures conditions, éviter la dépendance et prioriser son propre développement.
Une Opportunité Multipolaire pour l’Afrique
La véritable opportunité aujourd’hui est que le monde n’est plus bipolaire. L’Afrique n’est pas condamnée à choisir entre Washington et Pékin. Le monde multipolaire émergent offre à 54 États africains la possibilité de tirer parti de la concurrence entre de nombreux partenaires — Chine, États-Unis, Russie, UE, Inde, Etats du Golfe, Japon, Corée du Sud. Des initiatives comme la ZLECAf et le COMESA peuvent aider les nations africaines à coordonner et négocier de meilleurs accords. Mais cela exige vision et unité au niveau national.
Pour la RDC, cela signifie exiger des contrats miniers transparents avec de solides mesures anti-corruption tout en insistant sur la transformation locale et la création de valeur plutôt que l’exportation brute. Il s’agit également de renforcer la gouvernance locale pour prévenir la capture par les élites et le déplacement des communautés, d’investir dans des forces de sécurité et une administration capables de faire respecter l’accord de paix et d’engager tous les partenaires étrangers sur un pied d’égalité sans illusions sur leurs intentions. Seule une telle approche globale peut permettre au Congo de transformer l’intérêt extérieur pour ses minerais en un développement réel et durable.
Avertissement Critique et Appel Stratégique
Le nouvel accord offre une véritable chance de mettre fin à un conflit dévastateur et de bâtir une économie régionale plus intégrée. Mais il échouera si le gouvernement congolais le traite comme un trophée diplomatique plutôt qu’une responsabilité sérieuse. Le M23 n’a pas participé aux négociations et continue de tenir des territoires. Corruption, travail des enfants et destruction environnementale ont historiquement alimenté les conflits dans l’est du Congo et cela continuera si les chaînes d’approvisionnement minérales ne sont pas réformées.
Les partenaires internationaux privilégieront leurs propres industries et objectifs géopolitiques. Les dirigeants congolais doivent donner la priorité aux intérêts du Congo, aujourd’hui et pour les générations futures. Le monde observe le Congo — non seulement pour sa paix, mais pour ses minerais. Cet accord constitue une ouverture. Mais la véritable souveraineté exige stratégie, vigilance et courage pour exiger que la richesse du Congo serve son peuple et non simplement alimente les ambitions d’autres nations.
