(Par le Prof. Patience Kabamba)
*Cette semaine, nous poursuivons notre réflexion dans le cadre de notre cours de médicine traditionnelle africaine. La gériatrie est la partie de la médecine qui s’occupe des personnes du troisième âge, que l’on définit comme étant des individus dont l’âge varie entre 70 ans et 1010 ans. Ce sujet est extrêmement complexe, car elle est au carrefour de la culture et de la clinique, comme le titre l’indique. La médicine elle-même est au carrefour de l’art et de la science. L’art de guérir est culturellement situé. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas d’administrer les soins cliniques avec des molécules occidentales pour guérir une personne. Le malade appartient à une culture avec tout ce que cela comporte comme préjugés et croyances qui informent sa psychologie, ses émotions, ses espoirs et ses attentes. La culture est le lieu qui apporte les réponses à toutes les questions existentielles que se pose une personne humaine appartenant à cette culture. L’intelligence est naturelle, mais son déploiement est culturel. D’aucuns diraient que la culture est ce qui demeure lorsqu’on a tout oublié. Une grande partie des individus jadis polyglottes qui recouvrent la parole après une période prolongée d’aphasie ne parle que leur langue maternelle, la langue de leur maman qui a servi à les bercer.
Quel est l’état des soins gériatriques dans nos sociétés congolaises ? Cette étude devrait être poursuivie de manière plus scientifique avec des données comparatives. C’est sans doute la seconde étape après cette large introduction. J’aborde cette question comme un anthropologue culturel.
En 1992, je me rendais tous les dimanches à l’hôpital d’Ivry où je visitais la partie réservée aux personnes âgées. Il m’arrivait de passer les fêtes de Noël ou de la Saint Sylvestre auprès des vieilles personnes.
A l’époque, c’était pour moi la première fois de voir tout un pavillon de personnes de troisièmes âges. C’était très impressionnant. Cependant, je n’arrivais pas à comprendre comment ces personnes qui étaient très actives pendant au moins un demi-siècle sont quasi délaissées au moment où elles ont besoin de la présence de leurs enfants et petits-enfants. Ces scènes m’ont immédiatement renvoyé à mon expérience culturelle où les vieilles personnes sont gardées à la maison avec tous les enfants et petits-enfants. Disons que dans la culture africaine, les maisons sont habitées par deux ou trois générations ; les grands parents, les parents et les enfants. Il n’y a donc pas la nécessité d’envoyer les vieilles personnes dans des maisons pour personnes du troisième âge. L’assomption culturelle qui préside à cette pratique est que les Africains sont plus proches de leurs parents que ne le sont les Occidentaux envers leurs géniteurs. Cette affirmation me parait aujourd’hui plus anecdote que prouvée par des données fiables.
On retrouve des parents ou grands-parents africains abandonnés à leur triste sort alors que tous les enfants ont grandi et sont devenus des parents à leur tour. Je connais au moins un papa de plus de 80 ans qui vit seul ou pratiquement seul alors qu’il a eu le privilège d’élever 10 enfants.
Et cet exemple n’appartient pas à un ensemble qui est un singleton.
De nombreuses personnes adultes ont été parfois accusées d’être des sorcières parce qu’elles vivaient seules et sans soutiens. La notion selon laquelle les Africains s’occuperaient mieux de leurs vieillards que les Occidentaux reste encore à prouver, car pour les personnes âgées délaissées, il eut été important de les placer dans une maison des vieillards à l’Occidental où ils recevraient des soins appropriés. La solidarité africaine semble s’effriter de jour en jour. Le respect inconditionnel des aînées demeure la pierre angulaire des sociétés africaines. En revanche, les soins gériatriques ne sont pas à la hauteur de ce que méritent nos personnes âgées.
La difficulté est encore plus élevée dans les grandes villes africaines où le travail capitaliste occupe tout le temps matériel des individus et augmente la solitude de nos vieillards qui restent à la maison, parfois sans l’assistance dont ils ont besoin. Le cas échéant, je pense que placer une personne de troisième âge dans une institution plus appropriée eut été plus opportun que de les garder au sein de la famille. Comme on peut le constater, notre culture n’a pas encore trouvé une réponse adéquate à cette question des personnes âgées, des soins gériatriques et de la préparation pour le Grand Voyage.
Aujourd’hui, dans toute la RDC, seul l’hôpital Saint Joseph de Kinshasa possède une unité de soins gériatriques. Des infermières, médecins et kinésithérapeutes ont été sensibilisés pour prendre en charge les personnes du troisième âge. La RDC, un pays de près de 100 000 000 d’habitants et la capitale Kinshasa, une ville de près de 12 millions de personnes, ne possède qu’une seule unité gériatrique des soins du jour.
Evidemment, les priorités en RDC sont très nombreuses au regard de la mégestion générale du pays.
De la santé maternelle à la naissance en passant par une formation adéquate pour devenir un citoyen responsable, au concept de « bien vieillir » ; tout dans ce pays est à refaire dans un programme intégral de développement qui devrait être facilité par une allocation conséquente des ressources financières.
Cependant, les finances de la République étant disproportionnellement réparties et que les gros salaires à eux seuls font 64 % du budget (les Députés gagnent mensuellement 21 000 $, les ministres le double et les enseignants du secondaire 250 $, ceux du tertiaire 1350 $ le mois). Il ne reste plus rien dans les caisses de l’État lorsqu’on additionne tous les dépassements budgétaires auxquels nous assistons sans coup férir.
Les infrastructures de base pour les soins gériatriques n’existent quasiment pas dans notre pays, sauf à l’hôpital Saint Joseph de Kinshasa. Ces soins ne sont pas prioritaires.
En 2023, 11 % du budget national étaient alloués aux soins de santé, et la réalité est que très peu de fonds y sont allés, car les médecins et infirmiers sont toujours en grève et les femmes qui accouchent et qui n’ont pas de moyens de payer leur maternité sont retenues à l’hôpital jusqu’à ce qu’elles s’acquittèrent de leurs dettes. La gratuité de la maternité est restée au niveau des slogans et de la propagande, comme d’ailleurs le fameux « Peuple d’abord », que l’UDPS, le parti au pouvoir, a vite fait de jeter dans les oubliettes ».