Un calme précaire régnait ce mardi dans les villes secouées par des violences à l’annonce de la victoire de Paul Biya. L’opposant Issa Tchiroma Bakary continue de revendiquer la victoire, alors que le bras de fer promet de s’installer dans la durée, chacun fait le compte de ses alliés.
Le bras de fer qui s’est engagé entre Paul Biya, donné vainqueur de la présidentielle du 12 octobre, et Issa Tchiroma Bakary se double déjà d’une autre bataille : celle des soutiens, qui pourrait s’avérer décisive dans la séquence qui s’est ouverte au Cameroun.
Premier à s’être positionné en faveur de l’ancien ministre devenu opposant, avant même que le Conseil constitutionnel ne se prononce : l’avocat Akere Muna. Initialement candidat sous la bannière du parti Univers, il s’était désisté avant le scrutin et avait apporté son soutien à Bello Bouba Maïgari. Avant de se ranger derrière Issa Tchiroma Bakary lorsque celui-ci s’est déclaré vainqueur le 14 octobre, sur la base de son propre décompte des voix. Cette prise de position ne reflète toutefois pas celle de la formation dont il a brièvement porté les couleurs et dont le président, Nkou Mvondo, a choisi de ne pas apporter son soutien à la revendication du chef du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC).
Pour certains, des choix assumés
Quelques jours plus tard, c’est un autre anglophone, Ateki Seta Caxton, figure influente de la société civile, qui a affirmé reconnaître la victoire d’Issa Tchiroma Bakary. Comme Akere Muna, il avait soutenu Bello Bouba Maïgari pendant la campagne et a changé de braquet contre l’avis du parti dont il a porté les couleurs, le Parti de l’alliance libérale (PAL, qui a félicité Paul Biya pour sa victoire).
Le positionnement de Tomaïno Ndam Njoya est un peu différent. Après avoir un temps envisagé d’appuyer la candidature de Bello Bouba Maïgari, elle s’est finalement décidée à briguer la magistrature suprême et n’a remporté que 1,66 % des suffrages. Elle a attendu la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel pour contester la victoire de Paul Biya et apporter son soutien à Issa Tchiroma Bakary.
Cela suffira-t-il pour donner du poids à la revendication de l’ancien ministre ? C’est peu probable. D’autant que d’autres opposants ont préféré reconnaître la victoire du président sortant. C’est le cas de Cabral Libii, le candidat du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), qui rêvait d’incarner une opposition jeune et décomplexée mais qui n’a convaincu que 3,45 % des votants. Il a félicité, dès ce lundi, Paul Biya pour le huitième mandat qu’il vient d’obtenir. Même chose pour Denis Émilien Atangana, du Front des démocrates camerounais (FDC), qui a adressé ses « vives et chaleureuses félicitations » au président sortant.
Pour d’autres, la frustration ou la prudence
Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF), a pour sa part choisi… de ne pas choisir, après que le Conseil constitutionnel lui a attribué 1,21 % des voix. Plutôt que de saluer la victoire de Paul Biya, il a dit « reconnaître solennellement que la volonté des électeurs camerounais n’a pas favorisé [sa] candidature ». « Les résultats tels que proclamés sont bien éloignés de [nos] attentes, mais en véritables démocrates, nous les acceptons, même lorsque ce choix porte la forte odeur de la privation de droits et de la fraude », poursuit-il dans un communiqué publié dès le 27 octobre. Pas un mot, en revanche, pour Issa Tchiroma Bakary.
Serge Espoir Matomba, le candidat du Peuple uni pour la rénovation sociale (Purs), a opté pour le même entre-deux. Un communiqué rédigé à l’issue d’une réunion de son bureau politique regrette que les Camerounais « n’aient pas consenti à l’offre politique proposée par le Purs et [aient fait] le choix de la continuité du système néocolonial ». Serge Espoir Matomba appelle d’ores et déjà ses concitoyens à « se mobiliser pour les élections législatives et municipales de 2026 ». Lui non plus ne cite pas le chef du FSNC, qui vit reclus dans sa résidence de Garoua depuis le 10 octobre.
Et à l’international ? Issa Tchiroma Bakary le sait, aucune chancellerie ne s’aventurera à le soutenir de but en blanc. « Elles attendent de voir de quel côté souffle le vent avant de se prononcer », résume un analyste sous le couvert de l’anonymat. L’opposant compte néanmoins sur leur réticence à féliciter trop rapidement un Paul Biya dont la victoire a été entachée de soupçons d’irrégularités. Prudente, l’Union européenne n’avait d’ailleurs pas dépêché de mission d’observation électorale sur le terrain, le 12 octobre. Elle a, en revanche, dit sa préoccupation face à « la violente répression des manifestations des 26 et 27 octobre » et appelé « les autorités camerounaises à rendre des comptes, à faire preuve de transparence et à faire justice afin de lutter contre les cas de recours excessif à la violence ». Selon nos informations, un rapport confidentiel a été envoyé à Bruxelles sur le déroulé du vote.
Devant une assistance clairsemée
La proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs faite devant une assistance clairsemée, en l’absence des représentants de l’UE, de la France, des États-Unis, du Canada ou de la Grande-Bretagne. Moscou toutefois n’a pas eu ces réticences : son ambassadeur était bien présent, le 27 octobre, au Palais des congrès de Yaoundé.
À l’échelle continentale, seul le président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema a salué, le jour même, la victoire de Paul Biya. Issa Tchiroma Bakary sait qu’il n’a pas grand-chose à attendre de Libreville, où les manifestations de la diaspora camerounaise qui lui est favorable ont été systématiquement interdites ces dernières semaines.
Jeune Afrique
