Soutenu par les Etats-Unis et l’Union européenne, qui y voient un moyen de contrer l’influence de la Chine dans le secteur des minerais stratégiques, le corridor de Lobito reste confronté à des obstacles, notamment sur sa portion congolaise.
«Les minerais essentiels dont notre monde a besoin pour les véhicules électriques et les semi-conducteurs peuvent être trouvés ici. » Le 4 décembre dernier, c’est en ces termes que Joe Biden a justifié l’unique visite en Afrique de son mandat. Avant de céder le pouvoir à Donald Trump, en janvier prochain, le président américain a effectué un voyage de trois jours en Angola.
Un déplacement orienté « business », qui s’est achevé par une rencontre à Lobito avec ses homologues : son hôte João Lourenço, le Congolais Félix Tshisekedi et le Zambien Hakainde Hichilema. Ce sommet a été l’occasion pour le président américain d’annoncer un nouveau prêt de 553 millions de dollars pour le développement du corridor de Lobito, un montant qui porte la participation des États-Unis dans le projet à plus de 4 milliards de dollars, pour un investissement international total de plus de 6 milliards de dollars.
Projet pharaonique, ce corridor doit, à terme, relier les mines du nord de la Zambie et du sud-est de la RDC au port angolais de Lobito, sur la côte atlantique. S’il venait à être pleinement opérationnel, il deviendrait la voie la plus courte pour acheminer les minerais critiques extraits du sud-est de la RDC jusqu’à la côte. Un atout qui justifie l’intérêt majeur de Washington, qui cherche à se repositionner dans la course aux minerais stratégiques face à la Chine. «Ce projet générera non seulement des emplois importants, mais permettra également à chaque pays de maximiser ses propres ressources nationales au profit de sa population », a aussi affirmé Joe Biden lors du sommet de Lobito.
Un argument sur lequel s’appuient aussi ses homologues, qui ont tous souligné la dimension « cruciale » d’un tel projet. La RDC assure y trouver une opportunité « stratégique » pour valoriser ses matières premières comme le cuivre et le cobalt, dont le pays abrite 70 % de la production mondiale. Le président congolais, Félix Tshisekedi, qui a affiché son enthousiasme lors du sommet de Lobito, s’est réjoui d’un projet « porteur d’espoirs », susceptible selon lui de générer plus de 30 000 emplois directs et indirects et de favoriser le commerce intra-africain. « La conclusion d’un protocole d’accord multilatéral pour le développement du corridor de Lobito ouvrira de nouvelles perspectives de connectivité régionale et stimulera nos échanges économiques », a-t-il affirmé le 11 décembre, à l’occasion de son discours sur l’état de la nation.
« Le maillon faible, c’est la RDC »
Si prometteuse soit-elle, la mise en œuvre complète de ce corridor est semée d’embûches. Le premier obstacle tient à l’état des infrastructures. Construite au début du siècle dernier, cette ligne ferroviaire a été largement dégradée au cours de la guerre civile angolaise, avant d’être partiellement réhabilitée au milieu des années 2010. Sur le tronçon angolais, long de plus de 1 300 km, les travaux de rénovation ont déjà largement progressé. Trente gares ont été construites sur ce trajet. Il est désormais question de créer des doubles voies afin que les trains puissent circuler dans les deux sens.
Un aéroport international a aussi été construit dans la province de Benguela, où Lobito se trouve, ainsi qu’un terminal minéralier et pétrolier, et un port. Sur le tronçon de 800 km qui doit à terme relier la Zambie à l’Angola, une étude de faisabilité a été achevée en septembre. L’Africa Finance Corporation, l’Angola et la Zambie ont aussi signé un accord de concession, et les travaux pourraient commencer dès 2026.
Du côté de la RDC, les progrès sont plus embryonnaires. Le chemin de fer, construit entre 1902 et 1929, attend toujours d’être remis en état. En septembre dernier, le gouvernement a certes adopté le projet de loi sur le corridor de Lobito, mais les travaux sur le tronçon congolais, long de 427 km, tardent à débuter faute de stratégie financière concrète. C’est le deuxième obstacle à l’évolution de ce projet. « Le maillon faible de la chaîne, c’est la RDC et la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC). Qu’est-ce qui a été fait chez nous ? Pour l’instant, pas grand-chose », explique à Jeune Afrique Mac Mayanga, directeur d’exploitation de la SNCC.
En coulisses, Washington pousse pour trouver des solutions à ce blocage. « Les entreprises américaines ont un réel intérêt pour ce projet, mais il faut que le tronçon congolais puisse être mis en concession pour que cela ouvre la voie à des investisseurs privés », estime une source diplomatique américaine. Une option que semble soutenir Roger Te-Biasu, représentant de la RDC au sein du comité exécutif de l’Agence de facilitation du transport en transit du corridor de Lobito. « Avec ce format, le remboursement de l’investissement sera assuré », explique-t-il.
« Plus rapide, plus propre et moins cher »
Malgré ces obstacles, Lobito suscite un intérêt croissant chez les sociétés minières. Ivanhoe Mines, l’opérateur du gisement de cuivre de Kamoa-Kakula, en RDC, s’intéresse de près à ce chemin de fer qui passe à 5 km de sa mine. Sur l’année 2024, la société Kamoa Copper affirme avoir exporté 26 000 tonnes de cuivre via cette voie, et espère augmenter ce tonnage sur les prochaines années. « Avec l’augmentation progressive des volumes que Kamoa Copper envisage d’exporter en utilisant le corridor de Lobito, nous envisageons des réductions de nos coûts logistiques avoisinant les 15 % à 20 % d’ici quelques années », explique Olivier Binyingo, vice-président d’Ivanhoe Mines en RDC et membre du conseil d’administration de Kamoa Copper. En attendant l’opérationnalisation totale du projet, la plupart des entreprises minières privilégient les transports routiers.
Âgé d’une cinquantaine d’années, Radjani est l’un de ces chauffeurs qui sillonnent quotidiennement le sud-est de la RDC pour acheminer le cuivre du Katanga jusqu’au port de Dar es-Salaam. En ce début de mois de décembre, lorsque nous rencontrons ce conducteur d’origine tanzanienne, cela fait trois jours qu’il se trouve sur la route reliant Kolwezi à Kasumbalesa, à la frontière avec la Zambie. Bloqué dans d’interminables embouteillages provoqués par les dizaines de camions qui empruntent chaque jour la même route, il doit composer avec les nombreuses taxes exigées sur place. Selon un opérateur du secteur des transports, chaque chauffeur doit payer en moyenne plus de 1 240 dollars de taxes pour relier Kolwezi à Kasumbalesa.
Les transporteurs attendent parfois plus de dix jours pour traverser le poste frontalier avec la Zambie, le temps de remplir les formalités douanières. Relier Kolwezi à Dar es-Salaam peut aujourd’hui prendre plus de vingt jours, assure-t-on du côté de la société Kamoa Copper. En octobre 2023, les chefs d’État de l’Angola, de la Zambie et de la RDC ont pris l’engagement, avec le corridor de Lobito, de réduire le délai de transport jusqu’à la côte à huit jours. « C’est plus rapide, plus propre et moins cher. Plus important encore, je pense que c’est une question de bon sens », a vanté Joe Biden début décembre.
Lobito ou Banana ?
Optimistes quant au potentiel du corridor de Lobito, certains opérateurs miniers s’inquiètent toutefois de la concurrence potentielle d’un autre projet d’envergure en RDC, celui du port en eau profonde de Banana, situé dans l’ex-province du Bas-Congo. « La RDC ne doit pas oublier la construction de cette infrastructure, estime Didier Mukoma Mwenze, le président de la commission transports, transit et douane de la Fédération des entreprises du Congo, la FEC. Elle sera encore plus bénéfique pour la RDC, car il s’agit d’un corridor qui traverse tout le pays, du Katanga jusqu’au Kongo-Central en traversant les deux Kasaï et le Grand-Bandundu. »
Au-delà de l’avancée du chantier en RDC et de la concurrence éventuelle, dans l’ordre des priorités, d’autres projets, la dernière inconnue demeure l’attitude qu’adoptera le nouveau président américain Donald Trump vis-à-vis de cet investissement emblématique du mandat de Joe Biden. Lors de son premier mandat, le milliardaire américain avait montré un certain désintérêt pour le continent africain, sur lequel il ne s’est jamais rendu au cours de son quadriennat.
(Tiré de Jeune Afrique)