Dans une réflexion musclée, interceptée hier, lundi 13 octobre 2025, Germain Kambinga Katomba aborde avec maitrise la problématique liée à l’appréciation constatée du Franc congolais sur le marché de change en RDC. Economiste patenté et technocrate chevronné, l’Ancien Ministre de l’Industrie note un soulagement et se réjouit pleinement du fait que cette situation constitue une avancée importante dans la marche vers une souveraineté économique et monétaire retrouvée, suivant la vision tracée par Félix Tshisekedi, Président de la République.
Soucieux de voir les conditions de ménage des populations congolaises s’améliorer, Germain Kambinga soulève à l’intention de la Banque Centrale du Congo la nécessité de la mise en place des mesures d’encadrement rigoureuses, afin d’éviter un changement cosmétique.
‘’La décision de stabiliser et de renforcer le franc congolais est politiquement courageuse. Elle s’inscrit dans la tradition des politiques monétaires souveraines que Milton Friedman (1953) défendait en soulignant que la flexibilité du taux de change peut servir de bouclier contre les chocs externes, à condition qu’elle repose sur des fondamentaux solides. Mais la souveraineté monétaire ne se décrète pas : elle se construit. Elle exige une infrastructure productive nationale, une discipline budgétaire, et surtout une confiance durable entre l’État, le marché et la population. Sans cela, le risque est que le franc fort reste un simple symbole politique sans traduction concrète sur le panier du ménage congolais’’, alerte, dans son analyse, le Président du Mouvement Le Centre.
La Pros.
RENFORCER LE FRANC CONGOLAIS : AUDACE MONETAIRE, DEFIS STRUCTURELS ET EXIGENCES DE COHERENCE ECONOMIQUE
(Par Germain Kambinga Katomba, Ancien ministre, économiste, titulaire d’un MBA, d’une maîtrise en économie publique et d’un DEA en monnaie, finance et banque)
Introduction : le symbole et la réalité économique
En tant qu’économiste, j’ai observé avec intérêt l’évolution du taux de change du franc congolais et la politique énergique de stabilisation initiée par la Banque Centrale du Congo (BCC), en étroite coordination avec le Président de la République.
Selon les déclarations du Gouverneur de la BCC, cette politique s’inscrit dans une dynamique de restauration de la confiance monétaire et de réponse à la clameur populaire portée par le slogan désormais célèbre « dollar ekita », entendu lors de la campagne présidentielle de décembre 2023.
Cependant, au-delà de ce symbole politique fort, la véritable question qui se pose est celle du pouvoir d’achat réel des Congolais. Car, pour le citoyen, un franc fort ou faible n’a de signification que s’il améliore concrètement sa capacité à consommer, à épargner et à investir. La valeur nominale de la monnaie n’est qu’un outil ; la finalité demeure le bien-être matériel et social du peuple.
- Le franc congolais face aux fondamentaux de la théorie monétaire
La théorie économique enseigne depuis Mundell (1962) que le taux de change joue un rôle d’ajustement entre les équilibres internes et externes de l’économie. Une monnaie forte agit comme une taxe sur les exportations et une subvention sur les importations. Elle rend les produits étrangers moins coûteux pour les consommateurs locaux, mais peut réduire la compétitivité des exportations.
Dans le cas de la RDC, ce schéma doit être nuancé. L’essentiel de nos exportations provient du secteur extractif — cuivre, cobalt, coltan — dont les prix sont fixés sur les marchés mondiaux en dollars. Nous demeurons des price takers plutôt que des price makers (Krugman & Obstfeld, 2018), ce qui réduit la sensibilité de nos exportations à la politique de change.
Dès lors, un franc congolais fort ne constitue pas, en l’état actuel, une menace pour nos recettes d’exportation.
En revanche, la facture de nos importations — notamment de produits de consommation courante — demeure élevée. Dans ce contexte, un taux de change apprécié pourrait, ceteris paribus, améliorer le pouvoir d’achat des ménages congolais en réduisant le coût des biens importés.
Mais cet effet positif ne sera durable que si les prix intérieurs suivent cette tendance et que la transmission de la stabilité monétaire à la stabilité des prix est effective, ce que Dornbusch (1976) appelle l’effet de pass-through du taux de change.
- Les réserves de change et la question de leur usage optimal
L’accumulation des réserves de change, estimées à près de 7 milliards de dollars, illustre la prudence monétaire de la BCC. Toutefois, une politique d’immobilisation excessive de ces ressources peut avoir un coût d’opportunité élevé.
Comme l’a souligné Keynes (1936), la monnaie ne doit pas être un instrument de thésaurisation mais un moteur de circulation productive. Une partie de ces réserves pourrait utilement être allouée à la création de pôles de compétitivité nationaux, soutenant l’entrepreneuriat local, l’innovation technologique et la transformation des produits agricoles et miniers.
Joseph Stiglitz (2001) a démontré que la stabilité macroéconomique n’est bénéfique que lorsqu’elle favorise la création d’emplois productifs et la réduction des inégalités d’accès au capital. Dans cette optique, la BCC gagnerait à inscrire sa politique de change dans un cadre plus large de développement structurel, en synergie avec les politiques industrielles et fiscales.
- Monnaie forte, coordination faible : le dilemme congolais
L’expérience internationale montre que les politiques de renforcement monétaire ne produisent leurs effets que lorsqu’elles s’accompagnent d’une coordination intersectorielle. Karl Polanyi (1944) rappelait que « l’économie est enchâssée dans la société » : une réforme monétaire, aussi rigoureuse soit-elle, ne saurait réussir sans une politique cohérente en matière de production, d’emploi et de gouvernance des marchés.
Pour cela, la BCC doit veiller à :
- Encadrer la spéculation monétaire des cambistes et des institutions financières ;
- Coordonner ses actions avec les ministères de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce ;
- Assurer la transparence des prix pour éviter les effets d’aubaine et les pratiques anticoncurrentielles ;
- Maintenir un équilibre interne et externe du taux de change, garantissant la stabilité du marché intérieur et la soutenabilité de la balance des paiements.
- Le franc fort comme symbole de souveraineté économique
La décision de stabiliser et de renforcer le franc congolais est politiquement courageuse. Elle s’inscrit dans la tradition des politiques monétaires souveraines que Milton Friedman (1953) défendait en soulignant que la flexibilité du taux de change peut servir de bouclier contre les chocs externes, à condition qu’elle repose sur des fondamentaux solides.
Mais la souveraineté monétaire ne se décrète pas : elle se construit. Elle exige une infrastructure productive nationale, une discipline budgétaire, et surtout une confiance durable entre l’État, le marché et la population. Sans cela, le risque est que le franc fort reste un simple symbole politique sans traduction concrète sur le panier du ménage congolais.
Conclusion : une audace à encadrer
Le renforcement du franc congolais est une démarche économiquement rationnelle et politiquement audacieuse. Cependant, son succès dépendra de la cohérence globale des politiques publiques et de la capacité de la BCC à articuler la stabilité monétaire avec le développement productif.
Comme le rappelait Amartya Sen (1999), le développement véritable n’est pas seulement une croissance du PIB, mais une expansion des libertés économiques réelles. Le franc fort doit devenir un levier de cette liberté — celle de produire, d’investir, de consommer et de rêver congolais.
Références bibliographiques
- Dornbusch, R. (1976). Expectations and Exchange Rate Dynamics. Journal of Political Economy.
- Friedman, M. (1953). The Case for Flexible Exchange Rates. University of Chicago Press.
- Keynes, J. M. (1936). The General Theory of Employment, Interest and Money. Macmillan.
- Krugman, P., & Obstfeld, M. (2018). International Economics: Theory and Policy. Pearson.
- Mundell, R. (1962). The Appropriate Use of Monetary and Fiscal Policy for Internal and External Stability. IMF Staff Papers.
- Polanyi, K. (1944). The Great Transformation. Farrar & Rinehart.
- Sen, A. (1999). Development as Freedom. Oxford University Press.
- Stiglitz, J. (2001). Globalization and Its Discontents. W.W. Norton & Company.
