Par Gilles MPEMBELE, PhD, MBA
Technical Lead Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri.
La chute de Goma, et d’autres villes, ne représente pas une annihilation définitive des FARDC. L’argument selon lequel seule une intervention étrangère viendrait à bout du M23 est faux et pernicieux. Il est possible, aujourd’hui encore, de revitaliser les FARDC pour vaincre le M23 et reconquérir les territoires perdus. Quelques mesures, concrètes et urgentes, pour améliorer la motivation des FARDC et ajuster leur stratégie sur le théâtre des opérations sont présentées ici, ni uniques, ni exclusives, ni exhaustives.
Octroyer des parcelles de terrain aux militaires qui se battent à l’est
Une première mesure qui pourrait motiver les FARDC est que l’Etat octroie des titres fonciers, de jouissance immédiate et perpétuelle, à tous les soldats engagés au front, sur des terrains à lotir à travers tout le pays. Dans le langage courant, ceci signifie que chaque soldat, qui se bat à l’est du pays, deviendrait donc propriétaire d’une parcelle de terrain sur laquelle il pourrait construire, avec l’aide de l’Etat, sa maison ou son commerce. L’Etat s’engagerait, dans le cadre d’un programme pluriannuel et selon des mécanismes budgétaires appropriés, à urbaniser les sites identifiés et à aider tout militaire bénéficiaire à mettre en valeur sa propriété. L’Etat s’engagerait aussi à œuvrer avec des partenaires locaux et internationaux pour que les sites identifiés soient effectivement habitables par les soldats et leurs familles, qu’ils permettent l’accès à l’éducation pour les enfants et les jeunes, et qu’ils soient connectés aux grands centres urbains avoisinants. A supposer que l’effort de guerre nécessite 50.000 hommes de troupe, la proposition faite ici concerne donc 50.000 nouveaux propriétaires terriens.
Une deuxième mesure est que l’Etat ouvre le capital social de certaines entreprises publiques et d’économie mixte, minières, pétrolières et autres, aux soldats engagés au front. Dans la pratique, l’Etat céderait donc une part de ses actions aux soldats selon des montages financiers qui restent encore à déterminer. Tout soldat qui se bat à l’Est deviendrait donc co-propriétaire d’une ou de plusieurs compagnies et récolterait des dividendes, si infimes soient-elles, en fonction des résultats financiers de ces compagnies. Dans le cas tragique ou le soldat tomberait au front, sa famille ou ses descendants désignés hériteront donc de ces actions comme d’un capital qui se transmettrait de génération en génération. Un effet insoupçonné pourrait même être le début d’une sorte de bourse des valeurs et la démocratisation d’un capitalisme financier embryonnaire. A travers l’histoire, les classes moyennes se sont aussi développées de cette manière-là.
La RDC peut s’inspirer du G.I. Bill américain
D’autres mesures sont possibles. L’Etat pourrait donner des assurances qu’à l’issue de la guerre, tout soldat qui le souhaite puisse retourner aux études avec l’assistance de l’Etat, et que même ses enfants puissent obtenir la garantie d’étudier dans les meilleures écoles et universités du pays. L’Etat pourrait aussi garantir un emploi dans l’administration nationale, provinciale, ou dans la territoriale, pour tout soldat qui souhaite retourner à la vie civile, s’il fait preuve des capacités et des compétences requises.
A l’issue de la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis mirent en place un programme spécial, le G.I. Bill, qui permit à tout soldat de retour de guerre de bénéficier d’une éducation secondaire et supérieure aux frais de l’Etat, des taux d’intérêts avantageux pour s’acheter une maison ou commencer un business, et une compensation généreuse dans le cas d’un chômage de longue durée. La nation Congolaise ne peut se permettre le luxe d’attendre la fin de la guerre pour montrer sa gratitude et sa reconnaissance à l’endroit de ses enfants qui se battent héroïquement pour ramener la paix à l’est du pays.
La RDC devrait s’inspirer du « G.I. Bill » et en adopter certains aspects pour booster la motivation des FARDC. Les quelques mesures présentées ici, parmi tant d’autres, peuvent créer les conditions d’un changement radical du cours de la guerre. Elles sont fondées sur l’idée simple qu’une armée suffisamment motivée peut venir à bout du plus redoutable des ennemis. Pour motiver les soldats au front à se battre et à défaire l’ennemi, les augmentations sporadiques de leur solde ne suffiront pas. Le soldat veut l’assurance que son sacrifice ne sera pas vain et que son avenir personnel et professionnel, à l’issue de la guerre, est formellement garanti par l’Etat. Et s’il ne retourne pas du champ de bataille, le soldat souhaite avoir au moins l’opportunité de léguer une propriété et un héritage à sa famille, que ses enfants ne soient pas abandonnés à eux-mêmes, et que sa mémoire lui survive dans l’honneur et la dignité. C’est donc une obligation nationale que de répondre à cette attente légitime du soldat.
Les « Tactical Small Units » pour vaincre le M23
Une erreur stratégique importante des FARDC depuis le début de ce conflit a été de rechercher un assaut frontal conventionnel sur un ennemi suréquipé, doté d’une puissance de feu supérieure, et manœuvrant dans un contexte géostratégique avantageux.
La nouvelle stratégie des FARDC, proposée ici, est de forcer le M23 à être partout en tout temps en employant une pression constante sur l’ensemble de son dispositif tactique. L’objectif est d’éparpiller, de disperser les forces du M23, et de les diluer progressivement jusqu’à l’usure complète. Des unités mobiles, constituées de 4 ou 5 personnes, avec des objectifs et un mode opératoire bien défini peuvent être déployées à l’assaut des forces du M23 selon le procédé tactique du «hit-and-run» : frapper l’ennemi, puis disparaitre dans la nature.
Ces unités mobiles ont été conceptualisées comme des «Tactical Small Units», et les FARDC devraient intensifier leur utilisation, avec une douzaine d’attaques par jour, de jour comme de nuit. Pour atteindre leur cible, ces unités devraient utiliser des voies secondaires d’infiltration, et parfois des sentiers de fortune, avec un arsenal limité constitué d’armes légères d’assaut comme le AK-47 ou le M16, d’un lance-roquettes RPG-7, d’un lance-grenade individuel Mle F1, et d’un moyen de communication radio. La durée effective de l’opération ne devrait pas dépasser 4 secondes, et la retraite vers les bases arrière devraient être orchestrée de telle sorte que les troupes poursuivantes du M23 perdent le soutien de leurs armes lourdes et s’exposent aux embuscades et tirs de barrage des unités des FARDC positionnées en hauteur.
Un résultat direct de cette action est que les FARDC prendraient le contrôle de facto des routes et voies d’accès vers les villes présentement occupées par le M23, perturbant ainsi leurs capacités logistiques. Et lorsque la méthode est appliquée sur les positions du M23 et leur équipement à l’intérieur des villes sous leur occupation, elle permet aux « Tactical Small Units » d’éviter les défenses statiques de l’ennemi et de les attirer hors des villes où même des affrontements au corps-à-corps peuvent être envisagés.
Pour soutenir l’action des « Tactical Small Units », un réseau local d’informateurs devra être mis en place dans toutes les villes de l’est du pays, et en particulier dans celles sous occupation du M23. Il s’agit pour les populations locales de surveiller les positions, mouvements et équipements du M23 et de transmettre ces informations en temps réel au commandement des FARDC. A l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, la production et la circulation de l’information ont été à ce point démocratisées, qu’elles constituent en elles-mêmes une arme importante contre des forces d’invasion. L’intelligence militaire pourra alors intégrer la clandestinité et le secret dans la collecte, la transmission, le traitement et l’exploitation de cette information. Le M23 ne peut logiquement pas bénéficier d’un tel support et cela est une vulnérabilité importante face aux FARDC.
Après la phase préliminaire de désorganisation et de fragilisation de l’ennemi, la bataille finale entre les FARDC et le M23 sera de type conventionnel. Elle se déroulera nécessairement sur des terrains accidentés où l’artillerie lourde sophistiquée et la puissance de feu du M23 seront inopérantes. Le travail des « Tactical Small Units » ne connaitra de véritable succès tactique que s’ils arrivent à sortir les troupes du M23 de leurs positions, et loin des routes principales dans cette région. Certains combats se dérouleront au corps-à-corps, les armes légères seront prépondérantes, peut-être quelques mitrailleuses automatiques et d’autres armes portatives. Si l’objectif est l’annihilation finale du M23, la victoire appartiendra à celui qui aura la plus grande capacité de déplacement, mais aussi à celui qui pourra aligner le maximum de ses forces et qui sera prêt à payer le prix le plus fort.
Les «Tactical Small Units», une émanation du manuel tactique des forces de défense Israéliennes, ont été maintes et maintes fois utilisés dans différents conflits militaires à travers le monde. C’est cette méthode que les Contras du Nicaragua avaient mise en pratique et qui leur permit des victoires décisives face aux forces Sandinistes dans les années 80s. Même dans la Rome antique, une stratégie proche basée sur l’usure de l’ennemi permit au général Maximus d’avoir enfin raison des troupes envahissantes d’Hannibal. Plus près de nous, les Ukrainiens ont utilisé une variante des «Tactical Small Units» pour contenir les armées russes d’invasion, avant que le soutien de l’Occident permît de rééquilibrer plus ou moins le rapport des forces sur le terrain des opérations.
La guerre est un affrontement de volontés
Les stratégies militaires ne sont pas uniques et les doctrines tactiques qui les sous-tendent se valent les unes les autres, mais ce qui fait réellement la différence sur le champ de bataille c’est la volonté de défaire et de vaincre l’ennemi. Le général prussien du 19ème siècle, et théoricien militaire, Carl von Clausewitz écrivait ceci : «La guerre est un affrontement de volontés». Les FARDC ne viendront à bout du M23 que dans la mesure où elles arrivent à cristalliser la volonté populaire de vaincre définitivement le M23. Cette volonté doit se matérialiser dans la conduite de la guerre de manière générale, et dans l’exécution des stratégies de combat sur le champ de bataille. Mais cette exigence de volonté ne concerne pas que le soldat au front. Elle concerne tout le commandement militaire chargé de conduire la guerre, et au-delà, le pouvoir politique et l’ensemble de la nation. Dans cette architecture, le maillon faible de la chaîne n’est ni la population congolaise, ni le soldat au front.
