(Par le Prof. Patience Kabamba)
Commençons par définir le gros mot qui est dans le titre. Les gens confondent souvent la transcendance et le transcendantal. La transcendance relève de quelque chose qui est au-delà de notre monde. C’est le monde au-dessus de notre monde. Nietzsche appelle cela les arrière-mondes. Pour des matérialistes, il n’y pas d’autre monde que celui que nous avons ici et maintenant. Dieu n’est pas dans l’au-delà, mais ici présent parmi les hommes et les femmes. C’est cela même le sens d’Emmanuel, Dieu avec nous. Le Dieu des Juifs est un absolument autre. Dans la tradition coranique aussi, Allah est au-dessus de tous. Chez les chrétiens, Dieu est dans l’immanence de l’être. La divinité, de l’indo-européen dive, signifie la lumière infinie du monde. L’incarnation fait sens seulement dans ce contexte hellénique où Dieu est dans le mouvement de l’infini vers le fini qui donne au fini la dynamique de devenir infini. Dieu est l’homme parfait et l’homme est le Dieu imparfait. Il n’y a pas d’au-delà de la matière. Il n’y a pas de transcendance, tout est dans l’immanence radicale d’un automouvement vers l‘absolu. La transcendance est donc le monde au-delà de ce monde. Elle est souvent confondue avec le transcendantal.
Le transcendantal est ce qui est dans les limites de la simple raison ; ce qui relève de ce que la raison rend possible. En d’autres termes, c’est la condition de possibilité de qui est. C’est l’équivalent Nietzschéen de la généalogie. D’où ça vient ? Qu’est-ce qui rend cela possible ? Le mot transcendantal fait partie du vocabulaire kantien, mais on le retrouve aussi chez les scolastiques. Ces derniers sont des chrétiens intellectuels, professeurs ou étudiants qui utilisent toutes les ressources de la dialectique et de la sophistique pour prouver l’existence de Dieu auquel ils ont dévoué leur vie. Une politique transcendante est l’exercice qui consiste à étudier ce qui peut rendre possible une politique dans un pays comme la RDC. Quelles sont les conditions de possibilité d’une politique ? C’est cela que nous appelons politique transcendantale. Qu’est-ce qui peut rendre possible une politique en DRC ? Commençons par définir le mot politique. Comme son étymologie l’indique, dans la politique, il y a le mot « polis », qui signifie la cité. La politique est donc le gouvernement de la cité des êtres humains par les êtres humains pour le bien-être de tous individuellement et collectivement. La politique est donc l’art d’organiser la cité pour que chaque individu y retrouve le bonheur qu’il cherche comme individu et dans la cité.
Le MDW d’aujourd’hui analyse donc les conditions de possibilité d’une organisation politique qui puisse atteindre cet objectif dans notre pays, le Congo. Comment pouvons-nous nous organiser de sorte que chaque congolais, individuellement et communautairement, possède de quoi se nourrir, de quoi se vêtir, de quoi se faire soigner quand il est malade et de quoi envoyer ses enfants dans des bonnes écoles ? Voilà ce que veut dire la politique transcendantale, c’est-à-dire la politique à la limite de la simple raison. Prenons un à un ces éléments qui définissent le mot politique:
- La capacité de se nourrir
Le Congo possède près de 80.000 kilomètres carrés des terres arables, c’est-à-dire les terres qui peuvent produire de la nourriture sans grands efforts. La RDC a la capacité de nourrir toute l’Afrique à cause de la fertilité de son sol et du réseau hydraulique qu’il enferme. Une des conditions pour rendre cela possible, c’est d’investir dans l’agriculture, de la rendre intensive et mécanisée afin de produire aussi bien pour la subsistance que pour l’industrie alimentaire. Mais, comment se fait-il que dans un pays aussi fertile les gens continuent à mourir de faim, la malnutrition ait élu domicile dans le pays ? Le manque d’une réelle politique. Un auteur, en 1962 déjà, avait vu juste ; il s’appelle René Dumont dont le livre s’intitule l’Afrique noire est mal partie. Elle était mal partie parce qu’elle a abandonné l’agriculture au profit des minerais dont les revenus sont rapides et disparaissent aussi rapidement des poches des gouvernants. Aujourd’hui encore, comme dans les années 1960, les investissement dans l’agriculture sont rares et s‘ils existent, ils sont simplement détournés par la classe politique en charge de l’agriculture. La service national des semences n’est plus que l’ombre de lui-même pendant que la malnutrition a élu domicile dans le pays aux montagnes et pleines fertiles.
- La capacité de s’habiller.
Un agent des Nations Unies arrive dans un village pour sensibiliser les paysans sur la drépanocytose, très peu de personnes sortent de leurs maisons pour l’écouter. Il ne comprend pas alors qu’il entend des bruits dans les cases. A la fin de la journée, il n’a pas pu réunir le village comme il l’aurait souhaité. Qu’est-ce qui s’est passé. Le seul pagne convenable pour les filles de la maison était porté pour une d’elle qui est allée au champ. Les autres devraient attendre son retour pour se couvrir avec le même pagne. Et d’autres encore devaient rester à l’intérieur à poil attendant que l’unique habit qu’elles possèdent puisse sécher. La politique dans sa définition première consiste à pourvoir aux membres de la cité les capacités de pouvoir s’habiller. Qu’est-ce qui peut rendre cela possible au Congo ? Une redistribution équitable des deniers publics permettra au citoyen Lambda de s’acheter des habits convenables pour lui et pour les siens. Nous avons au contraire au Congo des gens qui sont capables d’aller assister à la collation des grades académiques de leur fille en France et d’autres personnes qui ne peuvent pas sortir de la maison parce que l’unique pagne de la maison est parti avec la grande sœur.
- La capacité à se faire soigner
La gouvernance de la cité consiste aussi à fournir aux citadins dont on a la charge les capacités de se faire soigner lorsqu’on est malade. La condition de possibilité pour maintenir les gens en bonne santé est l’investissement dans les soins de santé primaire, dans la recherche sur les maladies tropicales chroniques. Aujourd’hui, au Congo, nous continuons à mourir des malades jadis curables. La malaria continue à faire des victimes. Une bonne partie des personnes atteintes de la folie dans les rues de Kinshasa le sont à cause de la malaria cérébrale. La limite de la raison nous exige de mieux traiter les infirmiers et les médecins pour qu’ils se sentent encourager dans leur tâche de prendre soins de la population congolaise.
- Envoyer les enfants dans des bonnes écoles
La politique est la gouvernance de la cité et parmi les taches de la politique, il y a celle de s’assurer que les enfants sont bien éduqués par des personnes bien motivées. La réalité en RDC est que l’on ne sait pas pourquoi l’on étudie. Au bout des études les connaissances acquises (souvent par la mémorisation) ne servent quasiment a rien dans la vie. Il y a une inadéquation de la matière enseignée dans des universités et des besoins sociaux de base. Le licencié en géographie finit par être conducteur de taxi moto. Le juriste trouve du travail chez les libanais en ville et ce travail consiste à placer les médicaments sur les étagères des pharmacies. L’autre pendant de l’école, c’est l’enseignant. Plusieurs enseignants, du primaire à l’université aiment beaucoup leurs métiers car ils le font par passion. Mais, tous ou presque disent qu’ils ne le referaient pas s’il fallait recommencer. C’est le tragique de l’enseignant congolais.