(Par Dieudonné Kamuleta Badibanga, Président de la Cour Constitutionnelle)
*’’La trame ou ligne générale de notre étude a été de souligner qu’en matière électorale, l’aboutissement de toute action en contestation ou en restauration du droit reste largement tributaire de l’observance stricte de la procédure’’, a déclaré, substantiellement, Dieudonné Kamuleta Badibanga, Président de la Cour Constitutionnelle, le samedi 21 octobre 2023, lors de la rentrée judiciaire de son institution, en présence de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la RD. Congo, Chef de l’Etat et, en même temps, Magistrat Suprême.
Au-delà de la Mercuriale du Procureur près la Cour Constitutionnelle, lui a, particulièrement, présenté un tableau holistique des préoccupations auxquelles la Magistrature congolaise est confrontée.
‘’Je ne peux clore mon propos de ce jour, sans rappeler qu’il a porté sur les causes d’irrecevabilités des requêtes en matière de contentieux électoral, spécialement ceux des candidatures et des résultats des élections présidentielles et des législatives nationales.
Dans le chapitre premier, j’ai esquissé la définition des notions essentielles liées à notre sujet avant de déterminer les juridictions compétentes en matière des contentieux électoraux.
Le second chapitre m’a permis d’examiner les causes d’irrecevabilité des requêtes en matière de contentieux des candidature et en matière de contentieux des résultats relativement aux élections présidentielle et législatives nationales que j’ai appuyées de quelques cas de jurisprudence et j’ai posé la problématique de la tierce opposition en matière électorale en proposant que nonobstant l’état de la jurisprudence actuelle sur la question, la Cour Constitutionnelle ferait œuvre utile en l’admettant exceptionnellement lorsque les droits civils et politiques fondamentaux d’un tiers non appelé à une cause sont violés’’, a relevé, par ailleurs, Dieudonné Kamuleta, dans son allocution de ce jour-là, tout en sollicitant l’implication de tous, en commençant par le Président de la République, lui-même, pour relever de nombreux défis liés notamment, aux causes d’irrecevabilité dans le contentieux électoral en RD. Congo.
Il s’est appesanti largement sur une pile de réformes urgentes à opérer ainsi qu’un florilège de pistes à exploiter pour redorer le blason, longtemps terni, de la justice congolaise.
Certes, les tares dont il a épinglé certaines pratiques éhontées à l’instar de la corruption devenue endémique, de la concussion ainsi que d’autres actes rétrogrades à extirper, ont été amplement évoquées, tout au long de son allocution.
La Pros.
DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2023-2024
Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême,
(Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;
Honorable Président de l’Assemblée nationale ;
Honorable Président du Sénat ;
Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement ;
Madame et Messieurs les membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, honorés collègues ;
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social ;
Honorables Députés nationaux et Sénateurs ;
Madame et Messieurs les juges à la Cour constitutionnelle, chers collègues ;
Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;
Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;
Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et Représentants des Organisations Internationales ;
Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions d’Appui à la Démocratie ;
Monsieur le Chef d’état-major général des Forces Armées de la République Démocratique du
Congo ;
Monsieur le Commissaire général de la Police Nationale Congolaise ;
Mesdames et Messieurs les Représentants des Confessions religieuses ;
Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;
Monsieur le Bâtonnier National ;
Monsieur le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa ;
Monsieur le Gouverneur de la Ville de Kinshasa ;
Monsieur le Commissaire Provincial de la Police Nationale Congolaise, ville de Kinshasa ;
Monsieur le Bourgmestre de la Commune de LINGWALA ;
Mesdames et Messieurs les Avocats ;
Mesdames et Messieurs membres des cabinets des Juges à la Cour constitutionnelle ;
Mesdames et Messieurs les membres du personnel de l’ordre judiciaire ;
Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;
Il est de coutume qu’à la rentrée judiciaire de hautes juridictions, se tienne une audience
solennelle au cours de laquelle le Président de la juridiction prononce un discours développant un thème lié aux activités de sa juridiction.
S’agissant de la Cour constitutionnelle, l’article 100 alinéa 2 de son Règlement intérieur prévoit ce qui suit : « La rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle a lieu le premier samedi de la deuxième quinzaine du mois d’octobre de chaque année ». Nous conformant à cette disposition, nous nous sommes donné rendez-vous en ce jour, pour honorer cette tradition séculière à l’aune de l’année judiciaire 2023-2024.
Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat suprême, au nom de mes collègues et au mien propre, je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude, d’avoir, en dépit de vos charges d’Etat, accepté de répondre à l’invitation de la Cour constitutionnelle.
En effet, votre présence, une fois de plus, à la rentrée judiciaire de notre institution, témoigne à suffisance de l’importance que vous attachez à l’enracinement et à l’émergence de la justice constitutionnelle dans notre pays. Pour rappel, il y a à peine quelque semaine, vous aviez honoré notre institution lors de la cérémonie de la pose de la première pierre pour la construction d’un deuxième bâtiment de notre siège.
Excellence Monsieur le Président de la République, avec mes hommages renouvelés ;
Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;
A l’occasion de l’audience solennelle et publique de ce jour, la plénière de la Cour
constitutionnelle a choisi le thème «LES INCIDENCES DES INNOVATIONS DE LA LOI N°06/006 DU 09 MARS 2006 PORTANT ORGANISATION DES ELECTIONS PRESIDENTIELLE, LEGISLATIVES, PROVINCIALES, URBAINES, MUNICIPALES ET LOCALES TELLE QUE MODIFIEE A CE JOUR SUR L’ACTIVITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL CONGOLAIS EN TANT QUE JUGE ELECTORAL ». Ce choix est validé par le souci de baliser le chemin au vu des échéances électorales de décembre 2023.
En effet, la Cour constitutionnelle vient d’examiner le contentieux des candidatures pour les
élections législatives et se prépare à aborder le contentieux des candidatures pour l’élection
présidentielle. Il s’agira ainsi de mettre en évidence les différentes innovations apportées par la réforme électorale de 2022 et leurs incidences sur l’activité du juge électoral, particulièrement la Cour constitutionnelle.
Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, (Avec les hommages les
plus déférents) ;
Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;
INTRODUCTION
Après avoir identifié la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs
comme cause fondamentale des crises politiques et sécuritaires qu’a connu la République
Démocratique du Congo depuis son indépendance le 30 juin 1960 jusqu’au début des années
2000, le constituant de 2006 s’est résolu de mettre en place un nouvel ordre politique, basé sur l’instauration d’un Etat de droit démocratique qui repose sur les principes fondamentaux permettant à la fois la source populaire des pouvoirs publics, l’organisation de ces pouvoirs et la protection des droits et libertés. De là, on peut parler de « la démocratie constitutionnelle » congolaise parce qu’elle tend à promouvoir le pluralisme politique, à légitimer le pouvoir établi et à éviter qu’il ne soit tyrannique et despotique s’imposant par la force.
L’élection est pour ce faire, la voie indiquée d’accession au pouvoir et par lequel « un corps électoral confère un mandat à une ou plusieurs personnes qu’il choisit par son vote ». En tant que tel, il existe les mécanismes, les procédures et les formalités de son organisation aussi bien dans la Constitution que dans les lois.
Le résultat souhaité de confier le mandat à la personne choisie par le corps électoral ne peut être atteint que si au nombre des principes sur lesquels est fondée la source du pouvoir de l’Etat figure le contrôle juridictionnel de la sincérité du scrutin. A ce propos, la quasi-totalité des Etats à travers le monde6 attribue à leurs juridictions la compétence de statuer sur le contentieux des élections.
Le contentieux électoral, au sens large, porte sur les litiges qui naissent à l’occasion de l’élection.
Ces litiges peuvent apparaître tout au long du processus électoral, donnant matière à plusieurs branches du contentieux suivant l’objet et la finalité des recours.
En République Démocratique du Congo, l’article 5 de la Constitution au-delà de l’affirmation
que tout pouvoir émane du peuple, attribue à la loi la prérogative de fixer les conditions
d’organisation des élections et du référendum et l’article 161 alinéa 2 du même texte fait de la Cour constitutionnelle, juge du contentieux des élections présidentielle et législatives ainsi que du référendum dans le but de garantir la régularité et la sincérité de l’élection En effet, sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006, le législateur n’a pas arrêté de
modifier successivement la loi électorale, dans le but de parfaire le processus, ce qui n’est pas sans incidence sur le travail du juge électoral, obligé à s’adapter à l’évolution intervenue laquelle peut, dans certaines mesures, l’amener à faire évoluer sa jurisprudence.
La loi électorale a subi plusieurs modifications9 dont la dernière en date intervenue par la Loi n° 22/029 du 29 juin 2022, pour permettre une élection calme et apaisée en intégrant les différentes critiques qui ont été formulées par les parties prenantes, après les échéances électorales de 2018.
Intéressée par cette dernière réforme, la présente allocution tente de répondre à la question de savoir de quelle manière les innovations qu’elle apporte exercent une influence sur le travail de la Cour constitutionnelle, siégeant comme juge électoral, afin de rendre compte de l’évolution du droit électoral congolais.
Ainsi, selon que les contestations et leur règlement se situent en amont ou en aval du vote proprement dit10, la jurisprudence de la Cour sera examinée en rapport avec chaque étape du processus électoral. Il s’agira en premier lieu de brosser les différentes innovations apportées par la réforme du 29 juin 2022 (I) ; viendra ensuite la question relative à leur incidence sur le traitement du contentieux des candidatures (II), il sera aussi question d’aborder quelques traits marquants de la jurisprudence de la Cour en dehors des innovations de la loi électorale(III).
I. LES INNOVATIONS DE LA LOI ELECTORALE SOUS L’EMPIRE DE LA REFORME DU 29 JUIN 2022
La dernière modification de la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales est intervenue à travers la Loi n° 22/029 du 29 juin 2022. Avant de procéder à la présentation et à l’analyse des innovations introduites par cette dernière (B), il semble opportun de présenter préalablement le cadre normatif des élections politiques en droit congolais (A).
A. Cadre normatif
Comme précisé dès l’entame de notre propos, la Constitution du 18 février 2006 et la Loi
n°06/006 du 09 mars 2006 constituent le principal support normatif des élections en droit positif congolais. Aux côtés de deux textes juridiques précités, il y a aussi la Loi organique n°13/012 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée à ce jour, la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la loi sur la répartition des sièges par circonscription électorale dont la dernière en date est celle du 15 juin 2023, ainsi que les règlements et décisions d’application desdits textes11, précisément de la loi électorale, qui en assurent l’exécution.
En effet, ces textes constituent non seulement la source par excellence du droit électoral
congolais depuis 2006, mais aussi une étape décisive dans le processus conduisant à des
élections régulières, libres et transparentes. Ils encadrent l’opération électorale depuis la
constitution des listes électorales jusqu’au scrutin, en passant par l’enregistrement des
candidatures. Comme partout ailleurs, les conditions de la propagande et le déroulement de vote y sont aussi décrits.
Les textes précités sont communs à l’ensemble des élections en République Démocratique du Congo. Cependant, les élections qui nous préoccupent sont celles dont le contentieux relève de la compétence de la Cour constitutionnelle, à savoir les élections présidentielle et législatives nationales.
Dans le but de prendre en compte les recommandations de différents acteurs afin de garantir des élections libres, démocratiques, transparentes et sincères, le législateur modifie les règles du jeu, en répondant aux différentes critiques portées contre la loi qui a précédé en vue d’améliorer le cycle suivant.
A cet effet, après le cycle électoral de 2006, la loi électorale a subi une modification juste à
l’aube des élections de 2011, par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011. Après les échéances de 201, elle a été modifiée en 2015 par la Loi n°15/001 du 12 février 2015, en perspectives des élections qui devaient normalement être organisées en 2016. Le troisième cycle électoral de 2018 sera précédé par la modification législative du 24 décembre 2017.
Cinq ans après la modification de 2017, la loi électorale a fait l’objet de la réforme qui nous
intéresse au seuil du quatrième cycle électoral.
Ainsi, chaque modification de la loi électorale vient avec son lot d’innovations qui demande au juge électoral, en l’occurrence la Cour constitutionnelle, une adaptation, ce qui n’est pas sans conséquence ou sans incidence sur son activité juridictionnelle, voire sur sa jurisprudence.
B. Innovations introduites par la loi n°22/029 du 29 juin 2022
Il nous parait utile de souligner que cette réforme législative a pour ambition de répondre
adéquatement aux problèmes pratiques constatés lors du cycle électoral précédent, en mettant concrètement sur pied un système électoral crédible et mieux adapté.
A ce sujet, il ressort de l’exposé des motifs de la loi précitée les innovations ci-après :
Ø L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60 % de sièges en
compétition ;
Ø La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes conformément à
l’article 14 de la Constitution ;
Ø La distinction des inéligibilités définitives pour condamnation par décision judiciaire
irrévocable pour crimes graves tels que ceux relevant du Statut de Rome instituant la
Cour pénale internationale de celles temporaires pour les autres infractions ;
Ø La définition d’un régime légal exhaustif pour le vote électronique et semi électronique ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’afficher les
résultats bureau par bureau de vote au niveau des centres de vote et des centres locaux de
compilation des résultats ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier tous les
résultats bureau de vote par bureau de vote sur son site internet ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier la
cartographie électorale trente jours avant le début de la campagne ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’assurer la
transmission des plis destinés aux cours et tribunaux ayant le traitement des contentieux ;
Ø L’obligation pour les cours et tribunaux de se servir des plis contenant des procèsverbaux lors du traitement des contentieux ;
Ø La déchéance de plein droit de la qualité de l’élu même après l’expiration du délai de
contestation de candidature ;
Ø La définition du régime juridique de l’erreur matérielle contenue dans la décision du juge
électoral ;
Ø L’interdiction de cumuler l’exercice d’une fonction au sein de la Commission électorale
nationale indépendante avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ;
Ø L’interdiction à toute autorité publique quelconque d’accéder aux bureaux des opérations
électorales et d’intimer l’ordre aux électeurs, témoins et observateurs.
De cette énumération, quoique non exhaustive, seules les innovations ayant une incidence directe sur l’activité de la Cour constitutionnelle feront l’objet de notre propos, particulièrement celles relatives au contentieux des candidatures.
II. INNOVATIONS LEGISLATIVES DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX
DES CANDIDATURES
Pour ce qui concerne la phase du contentieux des candidatures, plusieurs innovations législatives
ont été apportées. Il s’agit notamment des cas des inéligibilités définitives et temporaires, de la
prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes électorales, conformément à
l’article 14 de la Constitution, du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% de sièges en
compétition et de l’interdiction de cumuler l’exercice de fonctions d’agent de la Commission
électorale nationale indépendante avec une activité politique.
Cela étant précisé, abordons à présent chaque innovation retenue dans ce cadre singulièrement.
1. Les cas des inéligibilités
La loi électorale prévoyait, avant la réforme intervenue récemment, précisément à son article 10,
des cas des inéligibilités. Cependant, à la lecture de la disposition légale précitée telle que
modifiée, il se distingue dorénavant des cas des inéligibilités définitives de celles appelées
temporaires. Cette innovation apporte une distinction inhérente à la jouissance des droits
politiques14 dans la perspective de la moralisation des enjeux électoraux. Elle vient donc
renforcer une dimension essentielle liée à la moralité des élections.
A. Des inéligibilités définitives L’article 10 in fine de la loi électorale telle que modifiée à ce jour dispose : « Sont inéligibles à titre définitif, les personnes condamnées par décision judiciaire irrévocable pour crimes de guerre, crime de génocide et crimes contre l’humanité ».
Au regard de cette disposition, certaines personnes ne pourraient désormais en aucun cas être
éligibles à une élection ni avoir accès aux fonctions publiques électives, à partir du moment
qu’elles ont été condamnées par une décision de justice devenue irrévocable pour l’un de trois
crimes, à savoir les crimes de guerre, les crimes de génocide et crimes contre l’humanité et dont
l’auteur est reconnu coupable et condamné16. L’inéligibilité dans ce contexte est d’origine
judiciaire.
Appelée à appliquer cette disposition, dans la cause sous RCE 0252/DN initiée sur saisine du
Procureur général près la Cour constitutionnelle contre les candidatures heurtant la disposition
susvisée, par son arrêt rendu le 12 septembre 2023, la Cour a constaté l’inéligibilité à titre
définitif des candidats concernés et a ordonné à la CENI de les retirer respectivement des listes
du parti politique et du regroupement politique qui les avaient alignés. Ainsi, sur cet aspect, la
Cour a annulé la décision de la CENI qui avait déclaré recevables ces candidatures de nos
compatriotes qui avaient été condamnés par les juridictions internes et internationales pour
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait
de les avoir fait participer activement à des hostilités.
Il sied de noter que, bien que le Procureur général près la Cour constitutionnelle ne soit pas repris
parmi des requérants en contestation de la liste provisoire des candidats, c’est à bon droit que la
Cour a estimé que ce dernier pouvait intervenir en l’espèce dès lors que les dispositions légales
d’ordre public sont mises en péril.
L’arrêt susvisé pourrait, en outre, soulever d’autres questions au vu de la modification de la loi
électorale du 29 juin 2022 qui est postérieure aux faits et à la décision de condamnation. Cette
situation appelle quelques éclaircissements.
En effet, le principe est que « l’inéligibilité est une sanction civile ou pénale : seule une loi entrée
en vigueur au moment des faits peut l’établir ». Cet enseignement dérive de la jurisprudence du
juge constitutionnel français qui considère que les faits pour lesquels l’impétrant peut être
condamné doivent avoir été commis après l’entrée en vigueur de la loi. En d’autres termes, la
loi nouvelle ne rétroagit pas.
Dans le cas qui nous concerne, il faut remarquer que la réforme du 29 juin 2022 telle que
disposée à l’article 10 in fine, n’est nouvelle qu’en apparence puisque depuis le 25 juin 2011, le
législateur avait disposé que les personnes condamnées par un jugement irrévocable pour crimes
de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité étaient inéligibles. Bref, les
personnes condamnées pour cette catégorie d’infractions étaient inéligibles à titre définitif.
B. Des inéligibilités temporaires
La loi électorale, prévoit d’autres cas d’inéligibilité qui ne sont pas définitives. Elles sont
temporaires et constituent un empêchement pour toute personne à se porter candidat à une
élection politique, et ce, pour plusieurs raisons.
Elles peuvent être consécutives à la fonction qu’exerce la personne concernée. Ainsi, dès lors
qu’elle n’assume plus les charges publiques qui l’empêchaient de se présenter au scrutin, elle
recouvre son droit de se faire élire. C’est le cas des membres de la Commission électorale
nationale indépendante et des mandataires actifs dans les établissement publics et sociétés du
portefeuille.
C’est dans ce sens que la CENI avait déclaré une candidature irrecevable au motif que le
candidat concerné était un agent de la CENI. Cependant, dans son arrêt sous RCE 022 du 26 août
2023, la Cour a précisé que « la disposition de l’article 10 point 9 de la loi électorale évoquée par
la CENI ne s’applique pas dans le cas d’espèce, d’autant plus que cette dernière est en défaut
d’apporter la preuve de l’acte d’engagement ou de la nomination de l’intéressé tel que prévu par
l’article 25 litera 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI ».
Dans l’entendement de cet arrêt, l’inéligibilité temporaire concernée par le cas d’espèce doit se
prouver par des actes.
D’autres cas d’inéligibilité temporaire peuvent résulter de la condamnation judiciaire irrévocable
du chef notamment des infractions de corruption, de détournement des deniers publics ainsi que
de banqueroute.
Pour les deux premières, le législateur prévoit généralement comme peine supplémentaire aux
peines principales, l’interdiction pour cinq ans au moins et dix ans au plus, après l’exécution de la
peine, du droit de vote et du droit d’éligibilité.
C’est aussi les cas des personnes frappées d’incapacité mentale médicalement prouvée au cours
des cinq dernières années précédant les élections. Pour ces personnes, la décision judiciaire
établissant leur incapacité doit, s’il s’avère, sur base d’une expertise médicale, qu’elles sont désormais lucides, être changée par une autre attestant leur nouvel état avant de jouir du droit à
l’éligibilité ; compétence qui revient au juge civil et non au juge électoral.
En somme, l’inéligibilité temporaire cesse lorsque sa cause n’existe plus. Ainsi, la personne
concernée a la possibilité de recouvrer son droit de vote et d’éligibilité.
Lors du traitement du contentieux des candidatures, le juge électoral vérifie les motifs justifiant
la recevabilité ou l’irrecevabilité de la candidature contestée.
Il y a lieu de relever que seul le candidat indépendant ou le parti ou regroupement politique ayant
présenté un candidat dans la circonscription électorale concernée peut contester une candidature
pour cause d’inéligibilité.
A ce propos, sous RCE 0242/DN du 31 août 2023, la Cour constitutionnelle a déclaré
irrecevable une requête sur pied de l’article 25 de la loi électorale, car le requérant n’avait pas
présenté des candidats aux élections législatives dans les circonscriptions électorales dont
référence dans sa requête.
On peut légitimement se poser la question de savoir ce qu’il en serait lorsque la personne dont la
candidature est contestée devant le juge de l’élection se retrouve encore en pleine instance
judiciaire devant le juge pénal pour crimes de guerre ou crimes de génocide et contre l’humanité.
Le contentieux électoral étant par nature soumis au principe de célérité, il n’est donc pas
concevable que le juge électoral dépasse les délais légaux pour statuer en contentieux des
candidatures au risque de perturber le calendrier électoral et de retarder l’installation des
nouveaux animateurs des institutions issus de l’élection.
Il est évident, dans pareil cas, que le juge pénal ne peut tenir le juge électoral en état. Ce dernier
devra simplement constater qu’un candidat, sur qui il ne pèse pas encore une décision judiciaire
irrévocable, bénéficie de la présomption d’innocence et valider sa candidature.
Toutefois, lorsque la personne mise en cause est postérieurement condamnée irrévocablement
pour les crimes précités, dans le cas où elle avait été élue, la loi laisse la possibilité de sa déchéance de plein droit de sa qualité d’élu, même après l’expiration du délai de contestation de
candidature.
2. La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes
conformément à l’article 14 de la Constitution
L’une des autres innovations de cette nouvelle loi électorale concerne la mesure incitative prise
dans la (loi électorale) en vue de l’effectivité de l’article 14 de la Constitution qui institue la
parité au regard homme-femme dans la participation à la gestion des affaires publiques à travers
l’éligibilité des femmes.
Dans l’esprit de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cette
innovation consacre une discrimination positive pour annihiler toute forme de discrimination à
l’égard de la femme, dans le processus électoral.
Outre la Constitution, l’article 1er de la Loi n°15/013 du 1er août 2015 portant modalités
d’application des droits de la femme et de la parité, fait obligation aux pouvoirs publics de veiller
à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et d’assurer la protection
et la promotion de ses droits.
Dans ce cas, ils doivent prendre dans les domaines civil, politique, économique, social et
culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine
participation de la femme au développement de la nation.
Le législateur a été amené à prendre les mesures appropriées pour assurer une pleine
participation de la femme au processus électoral. Avant la réforme de 2022, la loi électorale, en
son article 13 alinéa 2, prescrivait déjà que chaque liste de parti ou regroupement politique
devrait être établie en tenant compte de la représentation de la femme et de la personne vivant
avec handicap.
L’objectif de l’article 14 de la Constitution n’ayant pas été atteint, l’actuelle réforme a modifié le
troisième alinéa de l’article 13 de la loi électorale dans le but d’encourager les partis et
regroupements politiques à aligner plus de femmes sur leurs listes et leur donner ainsi l’occasion
de pouvoir participer au développement de la Nation.
Concrètement, la nouvelle disposition exempte du paiement du cautionnement, la liste électorale
d’un parti ou regroupement politique qui alignerait au moins 50% de femmes dans une
circonscription électorale.
Face à cette exigence légale, que doit alors être la posture du juge électoral en cas de réclamation
ou de contestation d’une liste de candidature qui aligne au moins 50% des femmes dans une
circonscription ?
Comme il a été relevé plus haut, lorsqu’il y a contestation ou réclamation, le juge électoral
vérifie la régularité de la décision de la Commission électorale nationale indépendante au regard
des exigences légales de recevabilité d’une candidature. S’il constate que la liste présentée aligne
50% des femmes au minimum, il sera tenu de s’assurer que les frais de dépôt de candidatures
n’ont pas été exigés, au cas contraire, il se doit de corriger cette irrégularité en faisant prévaloir
l’autorité de la loi en validant ladite liste si toutes les conditions légales sont respectées et
ordonnera à la CENI de restituer les frais de cautionnement payés.
Mais il convient de signaler que le juge électoral ne peut, en aucun cas, exempter une liste des frais du dépôt sous un quelconque motif et sans preuve dès lors que 50% de candidatures féminines ne sont pas atteints. Ce seuil est le minimum légal, et donc d’interprétation stricte.
La question de l’interprétation stricte de la disposition s’est posée lors du contentieux des candidatures devant la Cour où un regroupement politique avait contesté la décision de la CENI
portant publication des listes provisoires des candidatures.
En effet, sous RCE 0017 du 26 août 2023 le requérant reprochait à la CENI de n’avoir pas voulu
réceptionner 135 dossiers des candidatures reprenant 50% de femmes au motif qu’il n’avait pas
annexé au dossier des candidatures les preuves de paiement des frais y afférents.
Cependant, la Cour constitutionnelle a relevé que le requérant n’avait pas produit d’éléments
probants. Par cette réponse, la Cour a voulu rappeler qu’une telle procédure ne nécessite pas
seulement d’alléguer l’alignement de 50% de femmes, mais qu’il faudrait également prouver ses
allégations, car qui allègue un fait doit en apporter la preuve.
3. L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% des sièges en
compétition
La réforme de 2022 a institué le seuil de recevabilité des listes.
A ce sujet, l’article 22 in fine de la loi électorale dispose : « Sont également irrecevables les listes du parti ou du regroupement politique qui n’auront pas atteint 60% des sièges en compétition. Cette disposition s’applique aux élections législatives, provinciales, municipales et locales directes».
En effet, il convient de rappeler que, à ce jour, la loi électorale comporte désormais deux seuils :
Celui de représentativité, issu de la réforme de 2017, qui se situe en aval du scrutin et celui de
recevabilité introduit en 2022 qui se situe en amont.
Il importe de retenir que le seuil de recevabilité des listes de candidatures est un pourcentage fixé
par la loi que les partis et regroupements politiques doivent atteindre pour que leurs listes de
candidatures soient recevables. Il s’applique aux élections des députés nationaux et provinciaux
ainsi que celles des conseillers municipaux, communaux, locaux ou de secteur ou chefferie, c’est-à-dire des élections relatives aux assemblées délibérantes dans lesquelles les sièges sont en compétition.
Concernant l’élection des députés nationaux, rappelons que le nombre des sièges à l’Assemblée
nationale est de 500. Les députés nationaux ont un mandat national car, conformément à l’article 101 de la Constitution alinéa 4, ils représentent la Nation. Au regard du principe posé par l’article 22 in fine de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour, pour que la liste d’un parti ou regroupement politique soit déclarée recevable, ce dernier doit présenter un minimum de 300 candidats.
En apparence, cette nouvelle matière peut soulever des questions liées notamment à la nature du
contentieux du seuil de recevabilité, à la qualité des personnes pouvant venir en réclamation ou
contestation de la décision d’irrecevabilité des listes pour non atteinte du seuil ou à l’étendue de
la saisine du juge électoral.
La question du seuil de recevabilité ne constitue pas un nouveau type de contentieux ou une
sous-catégorie du contentieux de candidature. Il n’est qu’une exigence supplémentaire à des
conditions déjà existantes pour qu’une liste des candidatures puisse être déclarée recevable par le
Bureau de réception et de traitement des candidatures.
Si le juge électoral reçoit une contestation d’une décision de la Commission électorale nationale
indépendante invalidant une liste des candidatures présentée par un parti ou regroupement
politique pour non atteinte du seuil de recevabilité, il appréciera, au regard des éléments et pièces
en présence, le fondement de la décision de la Commission électorale nationale indépendante.
Dans ce sens, la Cour a décidé sous RCE 0034/DN du 30 août 2023 que, dès lors que le requérant a produit au dossier des récépissés de candidatures, des attestations de paiement du cautionnement, des listes journalières (listes albums) et d’autres pièces pertinentes constituant des preuves de dépôt de candidatures, mais aussi des lettres de dénonciation et des procès verbaux de constat du refus de la part des agents de certains BRTC de réceptionner les candidatures, il y a lieu d’ordonner à la CENI de constater que le requérant a déposé des listes de candidatures faisant un total, pour l’ensemble du territoire national, de 320 candidats, atteignant, de ce fait, le seuil de recevabilité et de publier ces listes dans la liste définitive des candidatures.
Dans l’hypothèse où le juge constate que le seuil n’a pas été atteint, la liste des candidatures sera
invalidée. De même, lorsque, en invalidant certains candidats, une liste des candidatures qui avaient atteint le seuil avant les invalidations se voit vidée de certains candidats ne permettant plus d’atteindre le seuil, cette liste sera, par voie de conséquence, déclarée irrecevable.
Dans la cause sous RCE 0210/DN du 31 août 2023, la Cour a relevé que, si le parti au profit duquel le candidat avait déposé sa candidature, n’avait pas atteint le seuil exigé par l’article 22 alinéa 2 de la loi électorale, il n’y a pas lieu que la susdite candidature soit maintenue.
Cependant, dans l’hypothèse où le parti ou le regroupement politique n’a pas atteint le seuil de
recevabilité du fait du refus de la CENI de réceptionner, sans motif valable, certaines de ses listes, un tel préjudice mérite d’être réparé. C’est dans ce sens que, sous RCE 0136/DN du 31 août 2023, la Cour a ordonné à la CENI de recevoir les dossiers de candidatures d’un regroupement politique dans des circonscriptions bien déterminées et de constater que ce regroupement a atteint le seuil de recevabilité.
La Cour a motivé sa décision comme suit : « Le fait pour le requérant d’avoir satisfait aux exigences légales et règlementaires pour les circonscriptions électorales où il a présenté des candidatures et qu’il est prouvé à suffisance de droit que, dans certaines circonscriptions électorales, le dépôt n’a pas été admis du fait de la mauvaise foi ou de la négligence de certains agents de la CENI, il n’y a aucune raison que le requérant soit préjudicié et qu’il convient de réparer ce dommage ».
En somme, l’introduction de seuil de recevabilité participe à la rationalisation du processus électoral en cours et au renforcement de l’efficacité de la gestion dudit processus.
4. L’interdiction de cumuler l’exercice des fonctions d’un agent de la Commission
électorale nationale indépendante avec une activité politique.
L’article 79 bis de la loi électorale dispose que « l’exercice d’une fonction au sein de la Commission électorale nationale indépendante, au niveau national, provincial et local est incompatible avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ».
En effet, la locution latine « aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars » qui veut dire « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne peut être juge et partie », traduit clairement la volonté du législateur d’éviter que les agents de la Commission électorale nationale indépendante, chargés d’assurer le déroulement harmonieux des élections, se retrouvent eux aussi en compétition électorale et deviennent ainsi juge et partie, ce qui serait de nature à mettre en danger l’indépendance et l’impartialité de la centrale électorale en créant un conflit d’intérêt.
Pour rappel, une incompatibilité à la différence de l’inéligibilité n’empêche pas l’élection de celui qui possède la fonction incompatible, mais elle vise à préserver l’indépendance tant de l’élu que du fonctionnaire33 pour préserver les organes de gestion du processus électoral des conséquences pouvant résulter de tout conflit d’intérêt. Il était donc opportun d’interdire à tout agent de la Commission électorale nationale indépendante l’exercice d’une quelconque activité politique.
En cas de contestation de la décision du rejet de la candidature par la Commission électorale nationale indépendante, le juge électoral doit vérifier si cette preuve de la mise en disponibilité a
été versée dans le dossier du candidat. A défaut, il maintiendrait la décision d’irrecevabilité de la
candidature.
Que serait alors le sort de la liste électorale du regroupement ou parti politique ayant présenté un
candidat se trouvant dans un cas de cumul ? Nous estimons qu’il ne concernera que celui qui a commis la faute qui demeure individuelle, s’il est attesté que le regroupement politique n’était pas au courant de cette situation, en harmonie avec la jurisprudence de la Cour qui estime qu’il n’est pas équitable que le parti ou le regroupement politique soit sanctionné pour un manquement du candidat qui ne lui est pas imputable, le concerné devant seul subir la sanction.
III. ANALYSE DE L’EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE EN DEHORS DE
LA REFORME DE LA LOI ELECTORALE
Au-delà de l’analyse des innovations introduites par la loi électorale, il s’avère d’une grande utilité, par cette occasion solennelle, de revenir sur trois questions majeures sur lesquelles la Cour a eu à déterminer sans atermoiements sa position.
A. Application par le juge électoral de l’article 21 point 3 de la loi électorale
Le premier point de l’évolution de la jurisprudence porte sur l’application de l’article 21 point 3 de la loi électorale qui dispose, en substance, qu’une candidature est irrecevable lorsque le candidat s’est présenté en même temps dans plusieurs circonscriptions électorales pour le même scrutin.
En effet, en application de cette disposition, la CENI a eu à invalider des candidatures aux motifs que les candidats invalidés apparaissaient sur une autre liste. Mais lorsque ces candidats viennent en contestation de la décision de la CENI les invalidant, la Cour n’a pas manqué à plusieurs occasions de vérifier si toutes les conditions étaient réunies pour pouvoir invalider la candidature d’un citoyen et, par ricochet, la mise en suspension de son droit fondamental d’être élu pour l’échéance concernée.
C’est le cas notamment de l’arrêt RCE 0139/DN du 30 août 2023.
Vérifiant les pièces, la Cour constitutionnelle constata que le requérant ne savait pas qu’un autre regroupement politique l’avait aligné ailleurs comme suppléant et cela sans son accord. Devant pareille situation, la Cour estime que, pour candidater même comme suppléant, cela exige l’intervention et l’engagement personnel du concerné. Ainsi, le fait pour un autre regroupement politique que le sien de l’aligner dans ce sens est un acte de fraude, qui ne pourrait être imputé ni
au candidat qui est titulaire ni au regroupement politique qui a présenté la candidature, leur bonne foi devant être protégée.
Dans un autre dossier, le RCE 0141/DN du 31 août 2023, la Cour a été saisie par une requête en validation d’une candidature sur la liste d’un regroupement politique.
Dans les faits, son regroupement soutient le caractère arbitraire et non fondé de la décision de la CENI invalidant le précité aux motifs que sa candidature était irrégulière alors que, au regard des pièces du dossier, le candidat invalidé, non seulement détenait le récépissé lui remis par la CENI, mais n’avait pas été alerté par cette dernière pour venir corriger cette irrégularité évoquée par elle tel que le prévoit la loi électorale. C’est ainsi qu’elle avait saisi la Cour constitutionnelle pour contester la décision l’invalidant.
Vérifiant les pièces même celles produites par la CENI, la Cour constata qu’il n’y en avait aucune dans le dossier attestant que le candidat invalidé était invité pour régulariser son dossier.
Ce faisant, la Cour estima que les droits de la défense énoncés à l’article 61 point 5 de la Constitution supposent qu’aucune sanction ne peut être portée contre une personne sans qu’il ne lui soit accordé la possibilité de rencontrer les griefs portés à sa charge susceptibles d’entrainer une condamnation contre lui, et ce, devant toute juridiction et à l’occasion de toute procédure, notamment celle relative au droit électoral, suivant l’esprit et la lettre de l’alinéa deuxième de l’article 21.
Il s’ensuit que la Cour constitutionnelle considère le respect des droits de la défense comme une nécessité indérogeable dès lors qu’une personne est susceptible d’être sanctionnée dans une quelconque procédure tant administrative que judiciaire. C’est pourquoi la Cour a, dans cette affaire, ordonné à la CENI de déclarer recevable la candidature concernée.
B. Le point de départ de la saisine du juge électoral en ce qui concerne le délai de
traitement des dossiers.
La deuxième question majeure concerne le point de départ de la saisine de la Cour constitutionnelle contenue à l’article 27 point 2 de la loi électorale qui dispose, en substance, que les juridictions chargées de connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de candidatures disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions à compter de la date de leur saisine.
De cette disposition, contrairement aux diverses interprétations que des particuliers peuvent émettre, la Cour a considéré que le point de départ du délai de sa saisine courait à partir de l’audience, dès l’instant où elle-même se déclare saisie.
Cette interprétation de la Cour en tant que juge électoral est de nature à préserver les intérêts des particuliers qui la saisissent dans le cadre des recours en contentieux des résultats. Elle s’inscrit ainsi dans une large perspective protectrice des droits fondamentaux d’être élu car elle permet aux concernés, de conserver leurs droits aussi longtemps que l’audience n’est pas encore fixée.
C’est l’effet utile de cette approche de la Cour.
La loi électorale autorise les juridictions compétentes en matière de contentieux de résultat de rectifier les erreurs matérielles de leurs décisions. Elle précise que l’erreur matérielle n’a aucune incidence sur le dispositif, sauf en cas d’inexactitude avérée des chiffres mentionnés dans les décisions attaquées ou vices de transcription.
Cette position légale est une réponse aux difficultés que cette Cour a connues lors des contentieux électoraux qui ont résulté des élections du 30 décembre 2018, période durant laquelle la Cour constitutionnelle a reçu un afflux des recours en rectification d’erreur matérielle.
Rappelons ici que l’erreur matérielle est « une inexactitude qui se glisse dans l’exécution d’une opération, dans la rédaction d’un acte ou dans le contenu de celui-ci et, qui naturellement appelle une correction. Cette maladresse peut résulter d’une fausseté dans le calcul ou la transcription d’un montant ou une confusion dans l’enregistrement du nom ou d’un de ses éléments. Il s’agit donc d’une inadvertance générale qui ne conduit pas nécessairement à la nouvelle contestation, mais dont le juge apprécie souverainement, à partir des données plutôt évidentes qui lui permettent, le cas échéant de la redresser».
C’est dans ce sens que, dans l’arrêt de la Cour sous RCE 0258/DN du 25 septembre 2023, il a été
décidé : « Ne doivent pas être considérées comme réparables par voie de rectification d’erreur
matérielle notamment les erreurs d’ordre intellectuel, les appréciations inexactes d’un fait,
d’une responsabilité, d’une preuve ou de tout autre élément de la cause, les erreurs d’ordre
juridique (…) »
La réforme apporte deux principes majeurs sur le régime juridique d’erreur matérielle à savoir :
• L’erreur matérielle n’a aucune incidence sur le dispositif ;
• L’erreur matérielle peut avoir une incidence sur le dispositif en cas d’inexactitude avérée
des chiffres mentionnés dans la décision attaquée ou de vices de transcription.
Cela étant, le juge électoral devra considérer que le recours en rectification d’erreur matérielle a
nettement des effets d’une voie de recours à part entière dès l’instant où le dispositif peut être
revu.
CONCLUSION
Je vous ai annoncé de parler des incidences de la réforme du 29 juin 2022 sur le travail de la Cour constitutionnelle comme juge électorale. Il n’a échappé à personne que, de leur grand nombre, seules quelques-unes ont prouvé leur incidence notamment la distinction entre les inéligibilités temporaires et définitives, l’institution du seuil de recevabilité des listes, la prise en compte de la dimension genre qui ont été illustrées par de nombreux exemples à travers le contentieux des candidatures.
Cependant, fidèle à la mission générale du pouvoir judiciaire de garantir des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens exprimée à l’article 150 de la Constitution, la Cour a interprété la loi dans le sens de leur promotion et protection notamment en sanctionnant les candidatures doubles ou inéligibles par l’éviction des seuls coupables en offrant aux partis ou regroupements politiques les ayant présentés de les remplacer utilement estimant qu’ils n’auraient pas pu se rendre compte de leur fraude ou de leur délinquance. Mais elle n’a pas manqué non plus de sanctionner les partis ou regroupement politiques qui ont aligné des personnes sans leur consentement.
Si ces quelques innovations de moindre importance ont permis un si bon progrès, il y a des raisons d’espérer que les innovations de plus grande importance notamment les obligations faites à la CENI de publier les résultats bureau par bureau, d’assurer la transmission des plis vers les juridictions compétentes et celle faite à ces dernières de se servir des plis contenant des procès verbaux lors du traitement du contentieux et de se prononcer dans le délai sous peine des sanctions nous rapprocheront encore davantage de l’idéal légitime d’éviter les crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est, aux yeux du législateur, la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Que vienne ce jour !
Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême
(Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;
Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;
Après cette présentation des innovations issues de la réforme électorale de 2022, je tiens à préciser que, durant le traitement du contentieux de candidature, la Cour constitutionnelle a abattu un travail exceptionnel dans le traitement des dossiers et a rendu ses arrêts dans le délai lui imposé par la loi électorale.
Je m’en vais vous donner les indications chiffrées des décisions rendues par la Cour en matière de contestation des candidatures cette année 2023 :
Sur les 250 dossiers enrôlés au greffe électoral, 154 requêtes ont été déclarées fondées, 30 ont été
déclarées non fondées, d’un autre côté, 66 ont été déclarées irrecevables.
Il sied de relever aussi que, suite à ces arrêts, certains requérants sont revenus devant la Cour en procédure de rectification d’erreurs matérielles. Au nombre total de 13 requêtes enrôlées, toutes ont été déclarées irrecevables.
Que vive la République Démocratique du Congo !
Que vive le Pouvoir judiciaire !
Que vive la Cour constitutionnelle !
Je déclare ouverte l’année judiciaire de la Cour Constitutionnelle pour l’exercice 2023-2024.
Je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 21 octobre 2023.
Dieudonné KAMULETA BADIBANGA
Président de la Cour constitutionnelle et
Président du Conseil Supérieur
de la Magistrature