L’intervention d’un avocat de la partie civile, Me Joël Kitenge, lors de l’audience devant la Cour militaire de Kinshasa/Gombe le jeudi 15 mai dernier, n’a pas été très conviviale à l’endroit de la Première Ministre Judith Suminwa qu’il aurait qualifié de « plus grande délinquante » du fait que son cortège avait emprunté le contre-sens. Des propos condamnés par l’opinion publique qui s’interroge sur une possibilité d’infliger des sanctions disciplinaires à l’encontre de ce juriste pour faute professionnelle.
« Parmi ces délinquants, on constatera qu’il y avait aussi une autorité, et alors une plus grande délinquante qui prit la même route… », a-t-il lancé devant une assistance médusée.
Il a été interrompu par la cour à la suite d’une objection de la partie république qui a jugé ces propos inacceptables.
« Monsieur le président, on ne peut pas traiter la Première ministre de la république comme étant une délinquante, cela frise la morale ! L’avocat plaide, il présente les faits, il ne s’attaque pas aux gens », a martelé un magistrat, le rappelant à l’ordre.
Malgré les interpellations de la Cour l’exigeant à retirer ses propos « mal placés », selon un citoyen qui a requis l’anonymat, l’avocat n’a malheureusement pas obtempéré.
Une indignation qui va au-delà du cercle juridique. « Pourquoi juger la première ministre de plus grande délinquante, un avocat ne devrait pas employer de tels propos à l’endroit d’une haute autorité du pays », dit un citoyen sous couvert d’anonymat.
Des accusations impliquant directement la Première Ministre
Sur un plateau de télévision, Me Joël Kitenge a affirmé, tout en s’appuyant sur ses sources, que parmi les deux gardes du corps actuellement en cavale, « l’un est son petit frère, l’autre est le petit frère de son mari. C’est pourquoi, on ne peut pas les amener ici (devant la justice) ».
Ces propos, qui sous-entendent une implication directe de la cheffe du gouvernement dans cette fuite, sont vivement dénoncés par ceux qui la connaissent personnellement. Les services concernés comme renseignant, ont pourtant attesté avoir lancé des recherches dès la disparition de ces agents. Rien, dans les éléments présentés à la Cour, ne permet d’établir une quelconque implication directe ou indirecte de la Première Ministre dans la fuite de ces policiers.
Le port de la toge sur un plateau de télévision serait-il une violation des règles de déontologie des avocats ? Une interrogation qui nécessite une mise au point quant aux dispositions règlementant ces hommes de droit.
Selon les règles de déontologie des avocats, qui s’appliquent aussi en RDC, comme dans la tradition romano-germanique héritée, porter la toge sur un plateau de télé peut induire le public en erreur en donnant une fausse impression de procédure en cours ou d’autorité judiciaire ; peut banaliser un symbole sacré de la justice et peut constituer une faute disciplinaire dans plusieurs ordres d’avocats.
«Voyons voir de toutes les façons si, son barreau de Sankuru se prononcera quant à ce, lui, qui effectuerait encore son stage professionnel (selon les infos puisées sur le site de l’ordre national des Avocats) », a renchéri la même source.
«Il est regrettable que dans un moment aussi sensible pour la justice congolaise, où les responsabilités des services de sécurité doivent être clairement établies, un avocat choisisse le sensationnalisme au détriment de la rigueur juridique. De tels excès ternissent non seulement l’image de la profession, mais portent également atteinte au bon fonctionnement de la justice », a-t-elle poursuivi.
Face à cette dérive, nombreux sont ceux qui appellent le Conseil de l’ordre des avocats, notamment le barreau de Sankuru, à rappeler ses membres à leurs obligations déontologiques : « L’honneur du barreau ne peut cohabiter avec l’invective gratuite ni avec la stigmatisation outrancière des institutions républicaines. En RDC, l’avocat est tenu à un devoir de discrétion et de respect, et doit éviter d’utiliser des insultes ou des attaques personnelles pendant la défense de son client. Le code de déontologie des avocats exige une conduite respectueuse et loyale, tant envers les clients qu’envers l’adversaire et les tribunaux ».
«Même les initiés en deuxième graduat en droit savent pertinemment bien que la profession d’avocat est régie par des principes déontologiques stricts, parmi lesquels la dignité, la modération dans le verbe, et le respect des institutions. Un avocat n’est pas un procureur populiste. Il n’est ni un tribun, ni un polémiste. Il est auxiliaire de justice et, à ce titre, se doit de défendre son client sans jamais tomber dans l’attaque personnelle, encore moins contre une haute autorité de l’État », estime, un autre son de cloche.
Et de poursuivre :
« S’en prendre ainsi à la Première ministre en pleine audience, en la traitant de « grande délinquante », constitue une entorse grave à l’éthique professionnelle. L’audience n’est pas une tribune politique ou une arène de règlement de comptes. Elle est un espace républicain où chacun, magistrat, avocat, partie civile se doit d’observer une conduite respectueuse des principes de droit et de la dignité humaine, même si une partie a raison dans sa plaidoirie ».
Il sied de noter que, la Cour militaire de Kinshasa/Gombe a rendu son verdict le jeudi 15 mai 2025. Sur les dix membres de l’équipe de sécurité de la Première Ministre poursuivis, six ont été condamnés à 20 ans de servitude pénale, dont le Major Kanza Dunia Olivier, chef de la sécurité de Judith Suminwa.
La Cour a reconnu leur culpabilité pour coups mortels ou homicide préterintentionnel, ainsi que pour arrestation arbitraire. En matière de réparation civile, les six ont été condamnés, solidairement avec l’État congolais, à verser un million de dollars américains chacun à la veuve et à la famille du défunt.
Deux autres policiers ont été condamnés à cinq ans de servitude pénale pour arrestation arbitraire : le sous-commissaire adjoint Libendele Kayindu et le brigadier-chef Sangwa Mulangi. Les prévenus Banga Ngajole et Michel Yalala, des services spéciaux de la PNC, ont été acquittés.
Enfin, la Cour a déclaré non établie l’infraction de violation des consignes. Les condamnés disposent de cinq jours pour interjeter appel.
La Pros.
