Dès l’aube de l’occupation européenne du Congo, afin de préserver leur indépendance sur la terre de leurs ancêtres, les différentes générations des Congolais se sont battus contre les occupants (Guy de Boeck, 1987, p. 5). Le jeudi 30 juin 1960 marqua leur victoire. Malheureusement le prétendu Dialogue inter-congolais de Sun City (2002) a redonné des béquilles à colonisation et lui a déroulé le tapis rouge pour son retour triomphal. Désormais tout est du copier-coller : nom du pays RDC (EIC), monnaie (Franc Congolais) ; langue officielle (Français) ; hymne national ( Debout Congolais – Vers l’Avenir) ; système politico-administratif, centralisation totale ; mode de gestion, vols massifs etc. Les conséquences sont les mêmes et notamment les chiffres effrayants des tués qui se comptent par millions ainsi que le désespoir du reste de la population soumise à l’insécurité généralisée. C’est pour cela que le combat pour l’indépendance demeure, l’une des questions au centre étant celle de l’ancestralité congolaise. Qui sont les Ancêtres du Congo et qui sont leurs vrais héritiers ? Tel est l’objet du présent propos.
Le 30 juin 1960, une opposition frontale apparut entre le roi des Belges Baudouin Ier et le Premier Ministre Congolais, Patrice-Emery Lumumba. Pour le premier, il ne faisait l’ombre d’aucun doute que le seul ancêtre du Congo était Léopold II qui fut un génie, un civilisateur, initiateur du Congo. Par conséquent sa mémoire devait se perpétuer à jamais auprès des Congolais, ses héritiers. Lumumba s’opposa avec véhémence à cette vision de l’histoire. Selon lui, le Congo qu’il reprenait en mains, était différent de la Belgique de Léopold II. C’était un état indépendant qui devait traiter d’égal à égal et en toute liberté avec la Belgique. Le Congo n’avait donc rien avoir avec la Belgique car l’agression ne peut en aucun cas être un élément fondateur d’une nation. Par conséquent Léopold II, assaillant, n’était pas un ancêtre pour les Congolais (Joseph Mbungu Nkandamana, 2008, p. 264 ; 269).
Je donne raison à Lumumba pour ces faits historiques précis. Premièrement, le moment de la mainmise de Léopold II au Congo est connu. Officiellement c’est le 28 et le 30 avril 1885 que la Chambre des Représentants et le Sénat belges ont respectivement autorisé à leur roi de devenir chef d’un autre état en conformité avec l’article 62 de leur constitution. La loi stipulait que « Sa Majesté Léopold II, Roi des Belges, est autorisé à être le Chef de l’État fondé en Afrique par l’Association internationale du Congo. L’union entre la Belgique et le nouvel État sera exclusivement personnelle ».
Il est clairement dit ici que Léopold II n’était pas le fondateur de l’État que le parlement et le sénat belges lui accordait. Par conséquent cet accord était en réalité une usurpation illégale qui ne pouvait pas avoir de valeur juridique car il ne s’agissait pas d’un territoire belge. En effet, une loi pour avoir une valeur juridique doit être fondée sur des éléments objectifs. Ce qui n’était pas le cas de l’accord octroyé par le parlement belge à son roi. D’autre part la fondation attribuée à l’Association internationale du Congo n’avait pas plus de trace juridique, encore moins la conférence de Berlin provoquée par cette association des mercenaires qui consacrèrent la balkanisation de l’Afrique entière.
Il s’agissait donc d’un acte totalement illégal du point de vue du droit aussi bien belge qu’universel, et du bon sens. Il convient d’ajouter pour appuyer le caractère totalement illégal de tous ces actes qu’ils intervenaient après que les États chrétiens européens aient décidé d’eux-mêmes de l’abolition de l’esclavage systémique des Noirs qu’ils avaient institué de leur propre gré et qui avait sévi durant des siècles. Si déjà le commerce des Noirs et leur esclavage systématique étaient illégaux, la spoliation de leurs territoires était doublement illégal. D’ailleurs, tout le monde sait qu’un territoire balkanisé, c’est-à-dire démembré en petits morceaux par des appétits étrangers, est un territoire ancien et non nouveau. Et l’acte de balkanisation qui est un acte guerrier est un acte illégal.
Secundo, s’il était réellement ancêtre des Congolais, Léopold II devait être connu de ceux-ci. Certains devaient l’avoir vu et connu, notamment les générations qui étaient nées à partir de 1800 jusqu’à 1909, date de sa mort. Cela veut dire qu’à l’indépendance du Congo en 1960, des Congolais âgés de 90, 80, 70 et 65 ans, devaient l’avoir connu pour transmettre aux nouvelles générations l’héritage qu’ils avaient reçu de lui comme le leur demandait le roi Baudouin. Or personne parmi les Congolais ne l’avait ni vu ni connu. Lui-même n’était jamais arrivé au Congo durant toute sa vie. Comment pouvait-il dès lors être ancêtre du peuple qu’il ignorait ?
Tertio, l’ancêtre des Congolais ne peut logiquement qu’être congolais. Les Congolais étant des Africains, Noirs, Bato-Ba/Indo, leur ancêtre ne peut être que noir. C’est exactement le cas de Usir, Sar, Ta’Sar, Mulopwe, etc., héros culturel africain qui est un Noir. Or Léopold II était un Blanc. Comment pouvait-il être ancêtre d’un peuple qu’il n’a pas engendré ?
Quarto, quand Morton Stanley – autrefois le pauvre John Rowlands de Denbigh/USA), universel bienfaiteur de l’Europe chrétienne qui leur révéla les fabuleuses richesses du bassin du Congo, lesquelles leur firent perdre la tête -, réalisa son fameux exploit de traverser notre pays d’Est à l’Ouest, les peuples congolais s’y trouvaient. Il devait d’ailleurs régulièrement faire feu sur des populations riveraines pour passer ( Adam Hochscild, 1998/2007, p. 98-99).
Quinto, l’unité du pays était une évidence en elle-même, assurée par le vaste réseau fluvial que rassemble le grand fleuve. Il constitue aux dires de Stanley « l’équivalent de milliers de kilomètres de voies de chemin de fer déjà posés », une formidable voie commerciale. Ce fait était connu des populations locales qui y vivaient. Cela veut dire que contrairement à une certaine opinion, les populations congolaises se connaissaient et commerçaient entre elles. Mais ce que l’on souligne peu c’est le rôle néfaste de la traite des Noirs instaurée par l’Europe chrétienne. Elle a obligé de nombreuses populations à vivre cacher. A l’époque où intervint cette nouvelle attaque de l’Europe chrétienne, l’Afrique était à peine en train de se relever comme cela se voyait dans les États du Golfe de Guinée notamment avec l’extraordinaire travail des Aguda, negros de ganho, revenus du Brésil (A. Babalola Yai, 1997, p. 275). Mais là-bas comme au Congo, tous ces efforts tombèrent à l’eau, les chrétiens européens ayant décidé de reprendre en Afrique même l’esclavage des Noirs et leurs exactions.
Sexto, l’unité du Congo, si elle est favorisée par l’extraordinaire réseau fluvial, est aussi le fait des populations elles-mêmes. L’exemple des Bayaka est éloquent en tant que trait d’union entre différents peuples. Même si aujourd’hui, malheureusement sous l’effet de l’abandon total de la jeunesse, les jeunes Bayaka s’adonnent, comme d’autres, à la destruction du tissu national, le passé de ce peuple fut différent. Les Bayaka, gardiens des frontières, par l’emplacement géographique de leur territoire, font la jonction entre les populations du Sud-Ouest et celles du Sud-Est du Congo. En effet, ils se retrouvent aussi bien mélangés aux populations Bakongo qu’aux populations Balunda en passant par les populations Bambala, Bapende et Baluba. Les Azande au Nord du pays ont une position équivalente. C’est aussi le cas d’autres peuples comme les Bakusu, les Bambute, les Banda, qui sont situées au Nord, au Nord-Est et à l’Est.
Septimo, à voir de près, la population congolaise parle une seule et même langue avec de nombreuses variantes vu l’étendue du pays. En effet, souvent il suffit de prêter l’oreille pour comprendre ce qui se dit dans une langue pourtant différente au point qu’à certains endroits il est possible de se communiquer en utilisant deux langues différentes en même temps. C’est pour cette raison que les Congolais quel que soit l’endroit du pays où ils vont, ne doivent pas faire d’immenses efforts pour apprendre la langue locale. Il ne suffit souvent que de quelques semaines sans être particulièrement doué. Cela témoigne de la proximité et de l’unité culturelle DU PEUPLE CONGOLAIS.
Tous ces arguments avalisent la contestation du Premier Ministre Patrice Lumumba contre la prétention du Roi Baudouin. A part l’usage de la force utilisée après contre Lumumba et bien d’autres nationalistes Congolais, le Roi Baudouin n’avait pas de vrais arguments pour revendiquer l’ancestralité belge sur le Congo et sur les Congolais. Son raisonnement était illogique. D’ailleurs le Congo, que Léopold II aurait fondé et construit pour les Congolais, était revenu de son vivant, non à ses héritiers Congolais, mais à ses compatriotes belges qui l’ont baptisé « Congo-Belge », ruinant ainsi tout argument d’une quelconque ancestralité de Léopold II sur les Congolais et sa trompeuse mission civilisatrice. Car le Congo-Belge était le Congo des Belges contre les Congolais et non le Congo des Congolais. Or le premier est une occupation armée contre le second. Le cas du Congo-belge est exactement comme celui de l’Égypte arabe, aujourd’hui pays occupé par des étrangers Musulmans d’expression arabe. Ils ne sont ni les ancêtres de Kama, ni auteurs de ses frontières.
Il en est de même des Belges au Kongo. Ils ne pouvaient pas définir les frontières ancestrales du Congo pour revendiquer sa fondation. C’est un non-sens. Celle-ci est l’œuvre de nos ancêtres telle que le témoignent nos différentes tribus dont les limites territoriales sont établies depuis des siècles.
Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay
Université de Bandundu
Notice bibliographique
–https://www.congovirtuel.com/index.php
–https://www.kaowarsom.be/documents/BOC/BOEIC1885-86.pdf
– de Boeck Guy, Baoni, Les révoltes de la force publique sous Léopold II. Congo 1895-1908, Anvers, Epo, 1987.
– Hochschild Adam, Les fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’État du Congo, 1884-1908, Paris, Editions Tallandier, 2007.
– Mbungu Nkandamana Joseph, L’indépendance du Congo-Belge et l’avènement de Lumumba. Témoignage d’un acteur politique, Paris, L’Harmattan, 2008.