Mis hors de cause par la justice dans une affaire de détournement d’argent public en RDC, l’ex-Ministre contre-attaque et dénonce une classe dirigeante corrompue tout en épargnant son patron, le Président Félix Tshisekedi.
C’est l’heure des comptes pour l’ancien Ministre des Finances. De ceux qu’on rend publiquement sur les plateaux de télé et dans la presse. Nicolas Kazadi n’a pas apprécié d’avoir été soupçonné de détournement de deniers publics.
Ce député de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel, était mis en cause pour des surfacturations dans l’affaire « forages et lampadaires ». Mi-octobre, il a finalement été disculpé par le procureur.
L’épisode lui fait dire qu’en RDC, la justice est « malade mais pas morte ». À l’inverse, pour l’Observatoire de la dépense publique, qui s’était impliqué dans le dossier, l’abandon des charges est un « scandale » et une manipulation du président Félix Tshisekedi pour « couvrir des amis ». Nicolas Kazadi est réputé proche du chef de l’État.
Le procès de ses deux co-accusés s’est donc ouvert sans lui, le 4 novembre, et l’ancien ministre tire désormais à boulets rouges sur la classe dirigeante congolaise. Jeune Afrique l’a rencontré à Paris dans les bureaux de ses avocats, voisins immédiats (c’est une coïncidence) de l’ambassade de la RDC.
Jeune Afrique : Vous dénoncez une cabale politico-médiatique à votre encontre. Qui accusez-vous ?
Nicolas Kazadi : Il y a plusieurs groupes. Dans la sphère politique, des gens s’inquiétaient de me voir monter après tous mes succès engrangés. Dans la sphère économique, il y a un ou deux intérêts bien ciblés que j’ai dû heurter ou menacer.
Vous avez laissé entendre que l’Inspection générale des finances (IGF) était l’une des sources de vos ennuis. Avez-vous un problème avec son patron, Jules Alingete ?
Lorsqu’il a commencé à être harcelé médiatiquement il y a quelques mois, après les révélations faites par deux employés d’un grand groupe congolais, il a pensé que je pouvais être derrière tout ça, alors que l’on n’était pas concurrents. Je parle de ce qu’il a fait à travers sa fiduciaire, qui conseillait l’un des plus grands groupes économiques congolais. Et il a trouvé du renfort pour lancer les premières attaques contre moi.
Jules Aligente n’est-il pas le « monsieur anti-corruption » du Félix Tshisekedi ?
Il a eu cette opportunité, oui. C’était même bien parti, et il aurait pu être cette personne. Mais quand il faut changer, il faut aller jusqu’au bout. Quand vous êtes à la tête d’un service qui est censé rappeler les normes et que vous-même, vous n’en maîtrisez aucune… C’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de la Gécamines toutes les normes ont été bafouées. On ne peut pas être à la fois contrôleur et consultant. Même chose avec le dossier Sicomines et avant avec TFM, deux entreprises où [Jules Alingete] était de tous les côtés… Et ce ne sont pas de petits montants qui sont en jeu.
Pourtant, c’est quelqu’un qui est devenu très important et qui n’a pas été désavoué par le président…
Vous n’en savez rien ! Attendons de voir. Qu’il soit désavoué ou pas, les faits sont ce qu’ils sont.
À vous entendre, la classe politique, la justice et les médias sont malades. Ce bilan ne serait-il pas à mettre sur le dos du chef de l’État ?
Pas du tout, au contraire ! Le président Tshisekedi est le premier président de l’histoire qui veut affronter ces grands défis. Mais ce n’est pas un surhomme. À l’époque Mobutu disait : « je ne suis pas un magicien, seul je ne peux rien. » Il faut que tout le monde s’y mette et cela prend du temps.
Le débat qui préoccupe la classe politique congolaise, c’est la révision de la Constitution. Y êtes-vous favorable ?
Il n’y a pas une famille politique qui n’a pas inscrit cela dans son programme. Il y a un fort consensus sur le fait qu’il faut réviser certains articles de la Constitution pour rendre la gouvernance plus efficace, pour revoir la désignation des gouverneurs de province, la fiscalité, la double nationalité… Ce qui est dommage, c’est que ce débat n’ait pas eu lieu plus tôt, lors des élections de 2023 par exemple. Le débat intervient au mauvais moment.
Pourquoi mettre le sujet sur la table maintenant ?
Je crois que le président Tshisekedi attendait de recevoir un mandat clair du peuple – ce qu’il a obtenu en recueillant 73 % des voix à la dernière présidentielle – pour se pencher sur cette question importante. Sachant que l’élection de 2023 est la plus transparente et la plus inclusive depuis 2006. Il a donc toute la légitimité pour mettre cette question de la Constitution sur la table.
Ce qui fait débat, c’est l’article 220 qui limite le nombre et la durée des mandats du président. Faut-il y toucher ?
C’est une autre question. Moi, je vous parle d’une révision constitutionnelle [et l’article 220 ne peut pas être modifié dans le cadre d’une simple révision constitutionnelle]. Commençons par-là.
Vous savez bien qu’une fois que l’on commence à amender la Constitution…
Je n’ai pas mesuré la volonté des gens, je ne sais pas jusqu’où ils veulent aller. Pour moi, il faut y aller par étapes, et ensuite on verra en fonction de ce que pensent les Congolais. Pour le reste, je donnerai la primeur de mon point de vue à ma famille politique.
Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), a alerté sur le coût d’un référendum en cas de changement de Constitution. Qu’en pense l’ancien ministre des Finances que vous êtes ?
Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte. On sait qu’une révision, c’est plus facile à faire.
Votre parti, l’UDPS, est en crise. Soutenez-vous son secrétaire général, Augustin Kabuya, qui est la cible d’une fronde ?
Ce n’est pas la question. C’est lui qui a la légitimité aujourd’hui, un point c’est tout. Je ne comprends pas ce désordre qui est de nature à affaiblir le premier parti de la République. Je peux comprendre le sentiment de frustration des frondeurs, mais pas leur démarche.
Vous n’avez pas été reconduit dans le nouveau gouvernement. Êtes-vous déçu ?
Dès lors qu’il y avait une affaire en justice, et compte tenu de la virulence des assauts contre moi, il était normal que je me mette en retrait. Et puis cela me permet aujourd’hui de me reposer. Mon ambition, c’est que le pays aille bien, avec ou sans moi.
Vous avez donné des interviews à des médias congolais. Était-ce pour refaire parler de vous ou pour tourner la page ?
Vous avez une lecture trop politique de la situation. J’ai été blessé dans mon honneur alors que j’ai eu l’une des carrières les plus remarquables dans ce pays. C’est cela qu’il fallait rétablir. Ce que j’ai fait est exceptionnel et historique.
Vous n’avez donc aucune responsabilité dans les errements ?
Dans quoi exactement ? Ce qu’on a fait, personne ne l’a fait avant nous. Les dépenses en procédure d’urgence ont considérablement baissé. En 2023, elles ont augmenté un peu à cause de la composante sécuritaire, c’est vrai. Mais on avait mis en place un nouveau dispositif, grâce auquel on faisait des avances et on rendait compte après. Je n’ai rien à me reprocher, je dors tranquille et je me réveille avec le sourire, fier de ce que j’ai fait.
Le bilan que vous dressez de la situation en RDC est sévère… Y a-t-il quelque chose de pourri en RDC ?
Cela ne va pas, il y a des choses à régler, je suis obligé de le dire. Il y a une forme de dérive qui consiste à faire du populisme, à tout politiser, à se moquer de tout tant que cela paye politiquement. Moi, je n’appartiens pas à cette catégorie d’hommes politiques. Si c’est ainsi, cela se fera sans moi.
On en revient à la responsabilité du président de la République. Vous décrivez une situation qui ne date sûrement pas de sa mandature, mais qui ne s’est pas améliorée sous sa direction…
C’est le revers de la médaille car le président Tshisekedi est un vrai démocrate, qui laisse les gens s’exprimer. Par moments, j’ai l’impression qu’il faudrait un peu plus de fermeté, mais ce n’est que mon opinion.
(La titraille est de La Prospérité)