(Par l’Ambassadeur André-Alain Atundu Liongo)
Si la réflexion en tous lieux et en toutes circonstances procède de la liberté constitutionnelle inaliénable accordée à chaque citoyen sans distinction, par contre, le débat sur un sujet donné est fonction de l’intelligence stratégique et du jugement d’opportunité.
Au moment où le diagnostic existentiel de la République est engagé, à la suite des coups de boutoir et de l’agression du Rwanda dans notre territoire, il serait indécent, presque ridicule d’entreprendre un débat républicain byzantin sur la nature de l’Etat, bref sur un changement de Constitution. Ce serait sans nul doute banaliser les atrocités subies par nos frères et sœurs du Kivu, l’épuration des populations, les violations des droits de la personne humaine et les crimes contre l’humanité perpétrés, à dessein, par les troupes rwandaises et leurs dépendances.
Et donc, en tout état de cause, ce débat sur le changement de Régionalisme Décentralisé, système actuellement en vigueur, en Fédéralisme réduit à 6 provinces, considérées pour la circonstance en Etats autonomes serait assurément un recul préjudiciable et inopportun par rapport à l’évolution administrative des découpages territoriaux depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour.
En effet, quelle que soit l’époque, le gouvernement, fut-il, de la colonisation belge ou de la République après l’indépendance, est confronté fondamentalement aux mêmes types de problèmes qui conditionnent la gouvernance et le développement du Pays à savoir une meilleure gestion du Territoire, un contrôle efficace des habitants et du mouvement des populations, un encadrement adéquat des activités économiques, une récolte sérieuse des impôts et autres redevances de l’Etat.
Les raisons avancées pour le choix d’un Fédéralisme à six relèvent plus de la narration politique due aux ambitions non déclarées que des motivations juridiques fondées. Car, ce changement ne va pas résoudre le fond de nos problèmes avec nos voisins turbulents notamment le Rwanda à savoir la question de la délimitation des frontières, des alliances malsaines entre les tribus congolaises notamment les Hunde avec les Hutu ou les Tutsi selon les intérêts locaux du moment, et la mauvaise foi du Pouvoir de Kigali avec sa politique néocoloniale à savoir conquête territoriale, occupation des terres et hégémonie sur le pouvoir de Kinshasa.
En effet, une lecture cursive de l’historique des découpages territoriaux révèle que le Congo est passé, durant la période coloniale, de deux grandes Entités Est/Ouest à six Provinces à l’indépendance, et depuis, de 6 Provinces à 26 aujourd’hui.
Poursuivant la logique de l’efficacité dans la gouvernance et compte tenu de la philosophie du programme du développement à partir des 145 Territoires, le Congo devrait compter au moins 145 Provinces issues de ces Territoires ; chiffre raisonnable en comparaison avec la situation de l’administration de la France, Territoire 4 fois plus petit que la RDC, avec ses 96 départements.
Selon cette logique, la RDC devrait donc avoir 384 Provinces compte tenu de son étendue.
Les 145 Provinces devraient être gérées sur la base de l’intelligence territoriale qui vise une gestion efficace de l’Entité administrative, de l’intelligence économique en fonction des activités de production et de l’intelligence stratégique compte tenu de l’implication internationale dans la vie des Provinces à cause de leurs produits, le cas de la présence importante d’une compagnie internationale est une preuve, s’il en faut. De plus sur le plan des faits comparatifs, une République fédérale comme les USA est composée et formée au départ par des Etats différents dans le but d’accroitre la solidarité et la justice distributive.
Tandis que le projet de la République Fédérale proposé, suppose le démembrement d’une République une et unie au départ ; ce qui ne manquerait pas de réveiller les démons et les fantasmes des sécessions et de la balkanisation dont ce serait comme prémices.
Au moment où la cohésion nationale face à l’agression rwandaise est un impératif existentiel, est-ce opportun de susciter des suspicions entre provinces ? Il y va de la cohésion nationale.
Ce projet de Fédéralisme à six Provinces est à jeter dans les oubliettes, non seulement parce qu’il est inopportun, mais aussi parce que c’est un projet cosmétique qui n’avance en rien la gouvernance efficace du Pays.
D’autant plus que cette opération va occasionner des dépenses énormes, sans compter la réduction d’espaces des ambitions politiques. En effet, ce projet n’a pas mentionné en quoi consistent les défaillances du Régionalisme décentralisé ni l’inadaptation des structures ou la défectuosité de son fonctionnement.
Au contraire, il faut garder une forme de l’Etat qui n’éveille pas des soupçons inutiles qui tiennent compte des joutes, désormais apaisées, entre les Unitaristes et les Fédéralistes.
Car en français simple, le Fédéralisme est un mode de regroupement des Entités politiques, au départ, indépendantes les unes des autres dans le but d’accroitre leur solidarité tout en préservant leur particularisme.
Tandis que la Décentralisation, à laquelle est parvenue péniblement le Pays, est un système d’organisation des structures administratives de l’Etat qui accorde des Pouvoirs de décision et de gestion à des organes autonomes régionaux, c’est-à-dire provinciaux.
Tout changement de Constitution doit tenir compte de l’apparition des faits nouveaux comme l’infiltration, la préservation de la nature, bref des nouvelles orientations garantissant l’assainissement et l’homogénéité de la Patrie.
Fait à Kinshasa, le 15 Avril 2025
