(Par Omer Nsongo die Lema)
Le proverbe Kongo «Vutuka vana wavidila nzila !» (en français : «rentre à l’endroit où tu t’es trompé de chemin») justifie cette lettre ouverte. Autrement, on continue la marche sans en atteindre le but. Cette lettre comprend trois chapitres : « Indépendance politique », « Indépendance économique », « Expertise belge » et « Exhortation ».
Monsieur le Président,
- Indépendance politique
Le 30 juin est une date hautement symbolique pour la République Démocratique du Congo. C’est le jour de *Déclaration de l’Indépendance*, acte solennel portant quatre signatures sans toutefois identification des personnes concernées.
Peut-être que vous le savez, peut-être que vous ne le savez pas, c’est l’occasion ici de le relever à l’attention du peuple congolais : la Déclaration d’Indépendance du Congo Belge ne reprend pas par les noms des Premiers ministres congolais et belge, ni des ministres des Affaires étrangères congolais et belge.
Pourtant, les quatre signataires sont MM. Patrice-Emery Lumumba et Gaston Eyskens en qualité de Premiers ministres ainsi que MM. Jean-Marie Bomboko et Pierre Wigny en qualité de ministres des Affaires étrangères.
En plus, comme par provocation, la signature du Premier ministre belge bouffe même l’espace réservé à son homologue congolais.
C’est vérifiable dans la photo servant d’illustration. Si j’étais Félix Tshisekedi, je proposerais aux autorités belges la réparation de cette erreur pour ne pas dire faute, et surtout pas crime. J’avancerais comme argument la comparaison avec les Déclarations d’Indépendance d’autres États. Cas de celle des États-Unis.
Ceci pour l’indépendance politique négociée, pour rappel, lors de la CTRP (Conférence de la Table Ronde Politique organisée à Bruxelles du 20 janvier au 20 février 1960.
Il ressort que face à la délégation belge composée de 5 ministres, 40 conseillers venus de différentes ministères fortement impliqués dans l’administration coloniale et 22 parlementaires représentant les socio-chrétiens, les libéraux et les socialistes, la délégation congolaise va aligner 43 acteurs politiques avec 13 conseillers (dont la plupart étaient des Belges), outre 8 membres du Collège Exécutif Général et 5 de la Commission politique «installés pour associer les Congolais à l’exercice du pouvoir à l’échelon du gouvernement général à Léopoldville et du ministère du Congo à Bruxelles».
Comme les photos de l’époque le prouvent : la Table ronde politique de Bruxelles avait mis face à des grands-pères et pères belges des enfants et petits-enfants congolais.
Monsieur le Président,
- Indépendance économique
Si j’étais Félix Tshisekedi, je reviendrais sur l’indépendance économique négociée, elle, lors de la CTRE (Conférence de la Table Ronde Economique) organisée à Bruxelles du 26 avril au 16 mai 1960, sans cependant et nécessairement rouvrir le contentieux belgo-congolais.
Et pour cause !
Dans son édition n°249-250 parue en décembre 1990, la revue universitaire «ZAIRE-AFRIQUE» (redevenue «CONGO-AFRIQUE») publiée de la page 479 à la page 489 la réflexion faisant état de l’existence de la CTRE.
L’intérêt de l’article est à ce niveau : « La Table Ronde économique fut surtout une conférence des lieutenants des partis et des suppléants de janvier, animée du côté congolais par de jeunes universitaires» dont Marcel Lihau, Evariste Loliki, André Mandi, Joseph Mbeka, Paul Mushiete et Albert Ndele». Cela est arrivé parce que, selon la revue, «Les chefs des partis étaient préoccupés par la campagne électorale proche et par leurs fonctions au sein des collèges exécutifs » !
Ainsi, couraient-ils déjà après les postes politiques, négligeant la donne économique. Comme aujourd’hui.
Au fait, le caractère extraverti de l’économie congolaise, on en parle depuis 1960. Aux deux des grands rendez-vous politiques connus par ce pays (Conférence nationale souveraine en 1991-1992 et Dialogue intercongolais en 2001-2003), tout a été dit sur les réformes économiques. Curieusement, rien n’a été entrepris jusque-là dans le sens souhaité.
Preuve, si besoin est, qu’il y a quelque chose qui cloche quelque part.
Or, la force de tout pays – peu en importe le système ou le régime politique – se mesure à sa production économique.
Si les statistiques pouvaient parler, c’est en des centaines sinon des milliers des milliards de dollars américains que la RDC exporte en état brut ses ressources extractives (minerais, hydrocarbures, bois etc.), et cela depuis la colonisation.
Pour quel PNB cependant ? Réponse du FMI par rapport au classement du magazine américain Global Finance publié fin mai 2024 : la RDC figure parmi les 5 pays les plus pauvres du monde, devancée pour l’Afrique par Madagascar, le Libéria, le Malawi, le Niger et Mozambique.
Pis, sa contribution aux déplacés de guerre est évaluée à 150 FC l’an, selon l’Observatoire de la dépense publique (Odep) dans son communiqué publié le 5 juin dernier.
Ces chiffres (5ème parmi les 10 pays les plus pauvres du monde) et 150 FC sont récents.
Ils nous interpellent pour nous signifier la vanité de nos efforts.
Monsieur le Président,
- Expertise belge
Si j’étais Félix Tshisekedi, à la lumière de ce qui précède, je n’hésiterais nullement de demander aux Belges :
– comment faisaient-ils pour que les RN (Routes nationales), construites pour la plupart en terre battue, aient pu résister aux intempéries caractérisant les six provinces du Congo Belge situées du reste toutes dans l’hémisphère tropicale ! Serait-ce à cause du changement climatique ?
– comment faisaient-ils pour que les bateaux et les trains circulent de façon synchronisées ; le bois en provenance de l’Equateur par navire prenne à Léopoldville le chemin de fer au temps prévu pour son acheminement à Matadi ?
– comment faisaient-ils pour garantir la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire sur l’ensemble du territoire national ?
– comment faisaient-ils pour garantir la couverture médicale à toutes les couches sociales de la population ?
– comment faisaient-ils pour garantir l’autosuffisance alimentaire ?
– comment faisaient-ils pour garantir l’accès au crédit immobilier, à l’emploi et à la retraite autant dans le secteur public que dans le secteur privé ?
Encore que la Belgique assure depuis la nuit des temps la formation des techniciens congolais qu’elle garde d’ailleurs de plus en plus chez elle quand elle ne les envoie pas sous d’autres cieux dans le cadre de la coopération !
Monsieur le Président,
- EXHORTATION
Au 30 juin 1960, comme relevé dans la chronique du 5 juin 2024 intitulée «Mukamba du Kasaï élu sénateur à l’Equateur : le message fort des Bangala à la Nation congolaise», il a été rappelé que Joseph Kasa-Vubu avait 43 ans, Joseph Mobutu 30 ans, Jonas Mukamba 29 ans, Nestor Nendaka 37 ans, Justin Bomboko 32 ans, Etienne Tshisekedi 28 ans, Bernardin Mungul Diaka 27 ans, Patrice-Emery Lumumba 35 ans. C’est l’occasion, aujourd’hui, d’élargir la liste en citant Moïse Tshombe 41 ans, Thomas Kanza 26 ans, Albert Kalondji 31 ans, Antoine Gizenga 41 ans, Cléophas Kamitatu 29 ans, Joseph Iléo, 39 ans.
Au 30 juin 2024, les affaires de l’Etat sont conduites par des personnalités ayant l’âge de leurs parents et grands-parents.
Vous avez, vous-même, 61 ans, Monsieur le Président de la République. Vital Kamerhe en a 65 ans, Judith Sumwinua 57 ans.
Moralité : rien, mais alors rien ne peut justifier, sous votre leadership global, la descente aux enfers symbolisée par les deux chiffres cités ci-dessus : 5ème pays parmi les plus pauvres et 150 FC l’an par déplacé de guerre.
Moi, Félix Tshisekedi, je ramènerais mon peuple à la bifurcation du 30 juin 1960. Là où le Congo s’est trompé plus d’indépendance que de chemin !
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